« Être au service, c’est ne plus s’appartenir et d’une certaine manière, se rendre disponible de façon à y pourvoir. Dans ce registre plus qu’ailleurs, il convient de faire des choix, répondant à une aspiration profonde à s’investir dans le service sans la notion de profit matériel. »
Babuji Maharaj, mercredi 26 octobre 2005 – 10 h
Dans les Messages du monde lumineux, les messages divins transmis par Babuji à sa scribe, Madame Hélène Peyret, Babuji fait souvent l’éloge de sa disponibilité et de son engagement à servir. Elle n’avait pas d’autre priorité que son bien-aimé Babuji. Grâce à sa disponibilité absolue, elle a atteint les plus hauts niveaux de repos spirituel, en dépit de grandes difficultés personnelles et d’ennuis de santé.
La disponibilité suggère une ouverture pour servir le Maître et se laisser travailler par lui. L’exemple par excellence de la disponibilité est Babuji Maharaj. À aucun moment son attention ne s’est détournée de son Maître, Lalaji. Si un tel moment s’était produit, il l’aurait considéré comme un motif de grand repentir. Lalaji n’était pas simplement le point de convergence de la conscience de Babuji ; c’est plutôt la conscience de Babuji qui se fondait dans celle de Lalaji dans une mesure telle que leur conscience unifiée illustrait le principe même de l’osmose spirituelle. Toute impulsion de pensée émergeant dans la conscience de Lalaji résonnait instantanément dans la conscience de Babuji, et c’était cela la base de l’immense service que Babuji avait pour destin de rendre à l’humanité. Ceux qui étaient assis aux pieds de Babuji dans la cour de sa maison à Shahjahanpur, son narguilé bouillonnant à côté de lui, avaient le privilège d’observer sa disponibilité unique pour son travail, conséquence de sa disponibilité pour Lalaji lui-même. Le corps de Babuji restait immobile, recroquevillé dans son fauteuil, mais son attention s’envolait partout où c’était nécessaire. Lalaji définissait la somme et la substance même de l’existence de Babuji.
En psychologie, il existe un concept appelé « biais de disponibilité. » Le biais de disponibilité est un biais cognitif. Nous avons tendance à privilégier les informations récentes, facilement accessibles ou qui sont en tête de nos préoccupations. Nous avons tendance à garder notre pleine disponibilité en réserve et à accorder plutôt notre disponibilité à ce qui est le plus près de nous. Les phénomènes éphémères deviennent nos priorités – les objets palpables de la pensée et des sens qui sont les plus nets dans notre expérience quotidienne – captant notre attention et motivant nos actions. Supposons, par exemple, que vous ayez vu récemment un grand nombre de reportages sur des vols dans votre quartier. Dans ce cas, vous surestimez peut-être la probabilité d’être vous-même victime d’un vol. Votre esprit accorde une importance excessive à ces informations, parce qu’elles sont récentes et nombreuses, ce qui conduit à une compréhension erronée.
Les cognitions qui contribuent au biais de disponibilité comprennent non seulement nos souvenirs récents, mais l’ensemble de notre création individuelle – nos impulsions samskariques, nos souhaits et nos aversions, notre réseau de pensées, d’émotions et de tendances et, bien sûr, les informations de nos sens. Tout cela semble proche et urgent et se déforme dans notre conscience, entraînant des priorités contradictoires et de la confusion dans les objectifs.
Supposons que vous entendiez simultanément douze chansons différentes jouées par douze musiciens différents, chacune dans une tonalité différente et selon un rythme différent. Comment cela sonnera-t-il à vos oreilles ? Quelle que soit la beauté de chaque chanson prise séparément et quelle que soit la maîtrise des musiciens, cela ne produira que du bruit. De même, notre mental s’intéresse à de nombreuses choses et devient un centre de chaos. Il n’y a rien d’anormal avec le mental ; il aime penser, penser, penser ! Mais il a tendance à rester absorbé dans sa propre création et devient complexe.
Nous devons entraîner le mental. Nos intentions doivent être ciblées. Nous devons apprendre à jouer une chanson à la fois, un instrument de musique à la fois, et à avoir une pensée à la fois. Sinon il n’y a pas de beauté, mais seulement de la dissonance. Nous devons consacrer notre énergie disponible à une seule pratique.
La pratique d’une méthode exige un certain niveau de confiance dans cette méthode. Pratiquer plusieurs méthodes crée plusieurs canaux dans le mental. Cela signifie simplement que vous n’êtes pas satisfait de la méthode que vous pratiquez. C’est comme si vous disiez : « Je suis marié avec ma femme mais disponible pour toutes les autres. » Vous n’êtes entièrement disponible pour aucune. Être disponible pour beaucoup, c’est n’être disponible pour personne. Saranagati et la dévotion impliquent de se donner complètement. Si vous vous donnez à beaucoup, vous donnez-vous complètement à quelqu’un ? Vous gardez toujours une partie de vous-même en réserve : « Ceci est à moi ! Je ne le partagerai pas ! » Vous ne vous donnez pas vraiment à quoi que ce soit.
Je vais répéter une ancienne histoire que Swami Vivekananda a racontée à Chicago lors du Parlement des religions du monde en 1893 (en sanskrit l’histoire s’appelle kupamanduka). Il était une fois une grenouille qui vivait dans un petit puits. Elle y était née et n’en était jamais sortie de toute sa vie. La grenouille n’avait jamais imaginé qu’il puisse y avoir un monde au-delà des limites de son petit puits. Et cela, jusqu’à ce qu’une autre grenouille n’y arrive d’un bond. Cette autre grenouille venait de l’océan et elle parla des vagues, des courants, des profondeurs et de l’immensité de l’océan à la grenouille du puits. Mais celle-ci ne put croire à rien de tout cela, car aucun océan ne pouvait être aussi vaste que le puits où elle vivait. Elle se moqua donc de la grenouille de l’océan et lui donna un coup de pied.
Vivekananda a raconté cette histoire pour expliquer les différences entre les religions, c’est-à-dire que certains sont coincés dans leur puits hindou, d’autres sont emprisonnés dans leur puits chrétien, et ainsi de suite. L’analogie va plus loin : nous sommes tous des grenouilles de puits, emprisonnées dans le puits de nos propres créations individuelles et collectives. Nous accordons une grande importance au contenu de notre puits personnel, mais encore plus à son résident, le soi. Il est rare que nous envisagions de regarder au-delà de cet antre obscur qu’est le soi. Le puits symbolise la proximité de l’information qui déclenche notre biais de disponibilité pour les objets éphémères, inhibant ainsi notre lien avec l’éternel.
Le Sahaj Marg est une voie de transcendance. Il fournit les moyens de briser notre filet individuel, pour devenir en quelque sorte une grenouille de l’océan. Avec le nettoyage, nous éliminons la mémoire émotionnelle – les samskaras qui déforment notre compréhension et détournent nos intentions – de sorte qu’il ne nous reste que la mémoire cognitive des événements. Sans mémoire cognitive, nous ne pourrions pas tirer de leçons du passé. Cette mémoire cognitive devient notre sagesse accumulée. Mais nous restons encore dans les limites de ce puits de sagesse, car il s’agit d’une sagesse venant du passé.
La méditation nous donne la possibilité de recevoir une inspiration supraconsciente, une vision futuriste qui ne repose sur rien de ce qui a existé auparavant. Elle n’est le produit ni du passé ni du présent. Avec le nettoyage et la méditation, il est donc possible de s’échapper du puits de l’ici et maintenant pour pénétrer dans la lumière du jour de l’éternel présent.
J’ai entendu un jour une belle analogie : imaginez que vous êtes en ville, dans une rue animée, avec un gratte-ciel imposant au-dessus de votre tête. Votre vue est limitée, elle ne couvre qu’une courte distance de chaque côté avant que la rue ne disparaisse de votre champ de vision. En bas de la rue, une voiture rouge approche, mais elle n’est pas encore entrée dans votre champ de vision.
Tout en haut du gratte-ciel, quelqu’un regarde par la fenêtre du 20e étage. La position élevée de cette personne lui permet d’avoir une vue plus large, qui s’étend peut-être sur un kilomètre de chaque côté. Elle peut apercevoir la voiture rouge au loin, bien avant qu’elle ne soit visible pour vous. Pour vous, la voiture reste dans le futur, alors que pour la personne qui est dans le gratte-ciel, elle fait déjà partie du présent. Et lorsque la voiture finit par quitter votre champ de vision, elle devient votre passé, alors qu’elle continue d’exister dans le présent pour la personne qui se trouve au 20e étage.
Une personnalité évoluée est semblable à la personne qui se trouve au 20e étage du gratte-ciel. Depuis cette perspective élevée, une telle personnalité peut observer le passé et l’avenir du reste d’entre nous, avec la même clarté que nous percevons le moment présent.
Pendant la guerre du Mahabharata, Bhishma, grièvement blessé, reposait sur un lit de flèches. Le Seigneur Krishna s’approcha de lui et Bhishma demanda au Seigneur : « Qu’est-ce qui m’a conduit à ce destin ? J’ai examiné une centaine de mes vies antérieures sans trouver de justification à ce destin. »
Krishna lui dit : « Regarde au-delà. »
Bhishma répondit : « Je ne peux pas voir au-delà. »
En réponse, Krishna accorda à Bhishma le don d’entrevoir son passé le plus éloigné. Désormais, la conscience de Bhishma pouvait voyager au-delà de ses limites temporelles antérieures et il fut témoin d’une vie antérieure dans laquelle il avait le statut de prince. Au cours d’une expédition de chasse fatidique, il rencontra un serpent, l’attrapa par la queue, le fit tournoyer et le jeta sur un buisson épineux où il mourut. Bhishma se trouvait à présent confronté aux répercussions de cette action, ce qui explique pourquoi ces flèches étaient devenues sa dernière demeure.
« L’abandon implique une complète disponibilité dans l’acceptation ; c’est à ce prix que tout prend son sens et devient constructif. »
Babuji Maharaj, samedi 13 août 2005 — 10 h
La rigidité, l’insistance et l’exigence sont l’antithèse de la disponibilité. La vraie disponibilité est inconditionnelle. Être disponible, c’est faire de soi une offrande, sans souci de réciprocité. Il est normal d’avoir un souhait, mais exiger qu’il soit satisfait, c’est poser des conditions à cette offrande de soi. Une disponibilité conditionnelle n’est pas une vraie disponibilité. Les souhaits non satisfaits, qu’ils soient conscients ou inconscients, nous obnubilent et nous maintiennent piégés dans différents schémas émotionnels, créant une conscience tamasique. Une déception momentanée est compréhensible, mais une conscience sattvique est résiliente et rebondit rapidement.
Pour que la conscience s’épanouisse en une sensibilité raffinée, il faut créer un haut niveau d’acceptation. Il est facile d’accepter ce qui est désirable, mais la véritable acceptation exige d’accepter aussi ce qui est douloureux. Une personne sensible reste vulnérable à tout. La sensibilité à la douleur augmente. Si la douleur dépasse les limites de la tolérance, la nature réagit avec bienveillance en supprimant la sensibilité. Cependant, il est tragique d’être privé de sa sensibilité et cela procure une douleur unique en son genre.
« Quelles sont les aspirations de votre cœur ? C’est sa disponibilité, la ferveur de son appel qui attire notre attention et qui fait que nous nous y attardons particulièrement. »
Babuji Maharaj, jeudi 18 avril 1999 – 8 h
Le mot soufi pour transmission est tavajjoh, qui se traduit par « attention », donnée par le Maître au disciple. Les gens ont mal compris la déclaration de Babuji dans La Réalité à l’aube : « Nous l’aimons avec foi et vénération, essayant par tous les moyens d’attirer son attention et ses faveurs. » Elle est facile à comprendre si l’on remplace le mot « attention » par « transmission » et le mot « faveur » par « grâce » : Nous l’aimons avec foi et vénération en essayant par tous les moyens d’attirer sa transmission et sa grâce.
Certains travaillent pour attirer son attention et ses faveurs. Certains crient et font des signes de loin. Une telle attention est sans valeur et si l’on travaille pour l’obtenir, son fruit sera amer. La véritable quête consiste à attirer la transmission et la grâce du Maître, ce qui incarne l’essence de l’attention. Plus l’intériorisation – pratyahara – est profonde, plus ce phénomène se déploie. Pratyahara implique d’accorder l’attention nécessaire à l’extérieur tout en consacrant son attention principale aux dimensions intérieures. Les activités terrestres – travail, conversation, lecture, repas, etc. – requièrent un certain degré d’attention qui ne dépasse pas, disons, cinq pour cent. L’essence de pratyahara consiste à renforcer la conscience intérieure et à consacrer toute son attention au monde intérieur, car c’est là que l’on rencontre le Maître. L’accès à cette présence intérieure n’est possible que si l’on reste dans un état de pratyahara.
Vous pouvez être physiquement présent auprès du Maître mais mentalement absent. Vous pouvez être présent en pleine conscience mais absent par le cœur. Être présent par le cœur est tout ce qui compte. Les membres de la famille se retrouvent à l’heure du repas, mais dans certains foyers chacun reste absorbé par son smartphone, plongé dans son monde virtuel. Même si la famille est réunie physiquement à ce moment, il n’y a pas d’unité. De même, Babuji a dit qu’il était préférable qu’un disciple reste chez lui en se souvenant du Maître, plutôt qu’il soit en compagnie physique du Maître en se souvenant de sa maison. Être dans la présence physique du Maître est une sorte de salokyata – c’est être dans son royaume. Cependant, c’est au niveau spirituel que le cœur d’une personne doit être disponible et aligné avec celui du Maître. C’est l’état de sayujyata, d’osmose avec le Bien-Aimé.
Je prie pour que tous incarnent l’esprit du mendiant décrit dans l’histoire « A Fakir’s Wealth », celui qui se tient devant le Maître mais a oublié le bol qui est dans ses mains et la raison même de sa venue. Il ne se souvient plus si c’est pour donner ou pour recevoir un service. Pourtant, il se tient devant le Maître avec une ouverture profonde et une disponibilité inébranlable.
« Être au service de toute son âme, c’est avoir le cœur totalement ouvert au Divin et dans une disponibilité complète, sans se poser de questions sur le pourquoi et le comment de ce qui doit être accompli. »
Le Vénérable, mardi 11 avril 2000 – 8 h 30