« Soyez des abhyasis joyeux, lumineux ; laissez non seulement parler votre cœur, mais montrez que suivre un chemin spirituel est une belle entreprise, qui vous rend heureux, même si votre vie matérielle n’est pas facile. Si vous avez bien compris où mène cette voie, vivez vos expériences malheureuses sans vous laisser affecter en profondeur… »
– Lalaji Maharaj, dimanche 27 juin 1999 – 10h00
« Ne pensez pas qu’élévation spirituelle signifie tristesse, nous sommes joyeux, ne l’oubliez pas. »
– Lalaji Maharaj, lundi 14 août 2000–17h00
« Sois forte et gaie, tu sais bien que ‘la joie attire la grâce’ ; alors, reste calme et souriante pour l’amour de moi. »
– Babuji Maharaj, dimanche 14 juin 1998–11h30
Pujya Babuji a indiqué que la bonne volonté était la seule qualification pour pratiquer le Sahaj Marg. Selon moi, « bonne volonté » signifie pratiquer avec joie. Un cœur heureux et joyeux attire automatiquement la grâce. En revanche, un cœur récalcitrant, accablé par l’amertume, la colère et les désirs, fait dévier les pluies de grâce qui viennent d’en-haut. Les Maîtres veulent que nous participions avec joie à notre transformation. Les principes suivants sont donnés afin de favoriser la joie :
1) Éliminez les conditionnements reçus des parents, de la communauté et de nous-mêmes
Notre état émotionnel tend à être conditionné par les préférences, les aversions et les valeurs inculquées par des sources extérieures, comme les parents et la communauté, ainsi que par nos expériences de vie. Comment la joie peut-elle s’enraciner dans un cœur qui ne peut être heureux que lorsque certaines conditions sont remplies ?
Babuji disait : « L’homme heureux est celui qui est heureux en toutes circonstances. » La joie est inconditionnelle. Elle fleurit lorsque nous n’exigeons pas que certaines conditions soient remplies. Dans l’état de désir, notre bonheur repose sur la perspective de l’accomplissement de ce désir. Si celui-ci reste insatisfait, nous sommes déçus et découragés. Notre pendule émotionnel s’éloigne du bonheur et se rapproche de la souffrance. Si notre bonheur est soumis à condition et que cette condition n’est pas remplie, notre bonheur n’arrive jamais. Les sages sont ceux qui réalisent la futilité du désir. Le chercheur finit par comprendre que la vraie joie ne dépend d’aucun objet terrestre.
Avec la transmission yogique, le pratiquant fait d’emblée l’expérience d’états supérieurs, ce qui crée automatiquement désintérêt et détachement vis-à-vis des plaisirs inférieurs. Ce discernement naturel entre ce qui est supérieur et ce qui est inférieur est l’essence même de Viveka. Le détachement évolue à son tour automatiquement en renoncement, Vairagya. Les systèmes traditionnels ont échoué, car ils n’ont pas été capables de créer des conditions plus élevées chez leurs aspirants. Sans l’expérience de ce qui est plus élevé, le renoncement n’apporte aucune joie, car les chercheurs s’aperçoivent que leur renoncement les a seulement privés des plaisirs du monde sans les remplacer par quelque chose de plus subtil. Ils succombent à FOMO (ndt. Fear Of Missing Out), la « peur de rater quelque chose ». La conviction que, dans le monde, les gens s’amusent davantage et vivent des joies plus grandes s’enracine dans un cœur resté vulnérable aux conditionnements culturels et personnels. C’est pourquoi les renonçants passaient traditionnellement leur vie dans la forêt, loin de toute tentation extérieure susceptible de réveiller leurs récepteurs samskariques et de les ramener à la mondanité.
2) N’attendez rien !
Ne cherchez pas l’idéal de perfection chez les autres. Songez aux couples qui ne cessent de se disputer à propos de problèmes mineurs. Ils n’ont pas le courage de se séparer et leur vie commune reste sans joie. Chercher la perfection chez les autres, surtout chez ceux qu’on aime, et ne pas les trouver à son goût, peut vite conduire à l’aversion, ce qui stoppe la circulation de l’amour. Cet amour gelé est une forme de suicide. L’autre a beau tenter de changer ou faire semblant de changer avec de faux sourires, un faux savoir-vivre et un faux comportement, le mensonge commence à prendre le dessus. Cela crée un contexte qui est l’illustration même du mensonge et du faux-semblant. La conclusion est donc : pour rester joyeux, n’attendez RIEN.
3) Ne marchandez jamais
C’est une question fondamentale dans la vie. Certains déclarent : « J’ai fait ce que j’ai pu » et se lavent les mains de toute responsabilité. Naturellement, leur joie s’évapore. Donner généreusement engendre de la joie, tandis qu’être avare l’épuise. Plus on fait pour les autres par amour, plus on a envie d’offrir. Refuser l’amour ou le service tant que ses propres exigences ne sont pas satisfaites crée un tsunami de souffrance. C’est un triste scénario que de dire : « Je l’ai vraiment aimée, mais elle ne m’a pas rendu la pareille. » Je dois comprendre que je ne peux que donner et je ne dois jamais exiger quoi que ce soit, sinon donner devient une simple transaction. Les transactions peuvent apporter un plaisir passager, mais jamais de joie véritable. Les gens n’épargnent même pas les dieux et les déesses dans les temples. Là aussi, le marchandage reste l’activité principale : « Je vous en prie, Dieu, si vous me donnez ceci, je ferai cela pour vous. » N’avez-vous pas honte d’une transaction aussi basse avec la divinité que vous servez et aimez ? Ou bien le faites-vous seulement pour des motivations égoïstes ? Lorsque vous savez intérieurement que vous êtes un tricheur, la joie est-elle vraiment possible ? Quiconque trompe l’autre ne fait que se tromper lui-même en fin de compte.
4) Soyez reconnaissant envers tous
La gratitude se manifeste surtout quand ce que nous avons reçu dépasse nos attentes. Comment rester en permanence dans un état de gratitude ? N’ayons pas la moindre attente. Nous considérons alors tout ce qui vient à nous comme une gratification et la recevons avec reconnaissance. Éprouver du contentement est bien, mais la gratitude a une envergure plus vaste, car elle reconnaît que chaque événement est un cadeau, un geste d’amour de la part du Bien-Aimé. Considérer tous les cadeaux comme des bénédictions divines crée un lien très fort avec Celui qui donne et provoque une grande effusion de joie.
5) Remplissez pleinement vos engagements envers vous-même et vos proches
Vous ne pouvez pas profiter pleinement d’une chose qui a été volée. Si vous volez une mangue, son goût ne sera pas aussi sucré que celui d’une mangue obtenue par des moyens légitimes. Certains tentent de masquer cette lourdeur intérieure par la fierté et le plaisir d’avoir volé, mais ce n’est que pour étouffer leur culpabilité. De même, négliger nos devoirs sacrés, envers nous-mêmes et envers les autres, prive ces responsabilités de cette ressource essentielle qu’est le temps nécessaire à leur accomplissement. Les activités auxquelles nous nous livrons à la place perdront leur douceur et seront accompagnées, dans une certaine mesure, par le chagrin d’avoir perdu des possibilités d’évolution.
À l’inverse, s’acquitter de devoirs sacrés permet à la joie de s’exprimer sans limites. La joie est considérée comme une condition sattvique. Elle est associée à une activité subtile, par opposition à la recherche tamasique des plaisirs ou à la poursuite rajasique de l’ambition. N’importe quelle activité devient sattvique lorsqu’elle est effectuée dans la conscience divine. Ce point est essentiel car, en tant qu’aspirants spirituels incarnés, nous avons un pied dans le Monde lumineux et un pied sur Terre. Toutes les activités terrestres ne peuvent pas être sattviques par nature, mais grâce au souvenir constant, nous pouvons mener toutes les activités de manière sattvique, avec joie. Dans un état de détachement intérieur, nos actions sont dépourvues de motivations transactionnelles. Nous nous engageons dans ces activités avec un véritable sentiment d’allégresse et les réalisons pour leur valeur propre, au lieu d’en attendre un bénéfice personnel ou de poursuivre des objectifs cachés. La vie de celui qui est détaché est pleine d’entrain et de joie. C’est une facette du nishkam karma, l’action sans désir.
6) Apprendre à pardonner
La joie peut-elle coexister avec l’amertume ou la vengeance ? Nous devons apprendre à pardonner. Le pardon est synonyme de générosité, une qualité qui demeure dans le noble cœur du véritable renonçant. Rappelez-vous la célèbre histoire du Seigneur Krishna, de Karna et d’Arjuna : Arjuna, l’ennemi de Karna, demande au Seigneur Krishna pourquoi Karna a une réputation de générosité. Le Seigneur Krishna crée deux montagnes d’or et demande à Arjuna de donner tout l’or en une seule journée. Arjuna a du mal à donner l’or. Quelle que soit la quantité qu’il donne, les montagnes semblent garder la même taille. À la fin de la journée, les deux montagnes d’or se dressent encore. Le Seigneur Krishna convoque Karna et lui demande de donner les deux montagnes d’or. Karna dit aux deux premières personnes qui passent par là : « Cette montagne-ci t’appartient et celle-là t’appartient. » Il accomplit la tâche en quelques secondes par un simple acte de renoncement. Le véritable renonçant est totalement dépourvu du « sentiment de posséder », sa générosité est donc infinie.
Le pardon est également un acte de générosité dans lequel nous n’avons pas d’attachement à ce qui nous a été volé. En présence du détachement et du renoncement, l’amertume ne peut persister. Le pardon devient naturel et automatique.
7) N’entretenez ni jalousie, ni envie, ni préjugé
Nous ne devons pas héberger de tels poisons dans notre cœur. Lorsque quelqu’un possède l’objet de notre désir, cela nous rappelle ce qui nous manque, et nous pouvons commencer à nourrir de l’amertume envers cette personne. Il en résulte de l’hostilité. Ce problème est, lui aussi, une conséquence du « sentiment de posséder », une expression de l’ego.
Babuji a qualifié le préjugé de « plus grand obstacle sur le chemin ». Il découle de l’orgueil et est une autre expression de l’ego. Babuji nous conseille de cultiver plutôt l’humilité, en nous rappelant que : « Dieu réside en chacun, il n’y a donc aucune raison de traiter quiconque avec haine ».
8) Rechercher de plus en plus de moins en moins
La joie est légèreté. Avec elle, on est libre de tout fardeau, de conditions et de désirs, et indifférent à leurs objets. C’est la légèreté et la liberté apportées par saranagati dans son sillage. Ce n’est que de la joie. Le flux de la vie se dirige totalement vers le détachement ou liberté. Seul un cœur sans désir ne porte aucun fardeau. C’est pourquoi nous recherchons de plus en plus de moins en moins.
La méthode est l’abandon. Pourquoi l’abandon est-il nécessaire à l’épanouissement d’un cœur joyeux ? Ce n’est que dans l’abandon que nous pouvons nous dégager de notre fardeau, lâcher tout ce dont nous dépendons et qui pèse si lourdement sur notre cœur.
Le Seigneur Krishna : « … réfugiez-vous en moi seul. Je vous libérerai de tous les péchés… »
Le Seigneur Christ : « Je suis la voie, la vérité et la vie. »
Babuji Maharaj : « … restez calme et souriant par amour pour moi. »
Bien que ces déclarations puissent paraître égotiques, les maîtres sont eux-mêmes dépourvus d’ego. Ils sont transformés par l’acte d’abandon. La prière est impossible sans gratitude et saranagati. L’absence de saranagati signifie qu’il reste encore une barrière entre le chercheur et Dieu. Ce mur crée une séparation entre le Créateur, l’Existence et le Créé. L’osmose entre ces deux dimensions est-elle possible dans ces conditions ? Si le simple mécanisme d’échange qu’est l’osmose n’est pas possible, comment pouvons-nous espérer une fusion complète ? La totalité est toujours disponible auprès du Créateur. L’essentiel est ceci : « Suis-je pareillement disponible, avec humilité et amour ? La véritable initiation a lieu lorsque nous passons d’un simple état d’abhyas, en tant que disciple sur le chemin, à un état d’abandon total.
Babuji a écrit un jour à Chariji : « J’aimerais voir scintiller le cœur des abhyasis. » En tant que pratiquant du Sahaj Marg, je me demande : « Comment faire pour que cela se produise en moi ? Comment puis-je créer ce scintillement dans mon cœur ? Pourquoi les étoiles scintillantes dans le ciel de ma conscience sont-elles encore obscurcies par des nuages ? »
Des nuages de différentes densités se forment, certains à cause de l’ego, d’autres à cause de l’ignorance et d’autres encore à cause de l’explosion continuelle de toutes sortes de désirs sombres et fumeux. Nous passons toute notre vie à jouer avec ce paysage coloré du ciel de la conscience. Il est tragique que cela nous occupe tellement de dépendre d’une chose ou d’une autre. Lorsque nous nous abandonnons et renonçons à l’ego, les nuages se dissipent et nous devenons vraiment indépendants.
Comment s’abandonner ? Babuji répond : « Créez la dépendance. »
Lorsque nous dépendons de Lui seul, tout le reste perd son emprise sur nous. Notre existence conditionnée devient inconditionnelle et nous atteignons la liberté. Lorsque nous nous abandonnons au sens propre du terme, la dépendance au monde disparaît. Alors seulement, commencent à apparaître le scintillement et l’éclat du cœur. D’un tel cœur émane le parfum de la joie.
9) Soyez en harmonie avec la Nature
Être en harmonie avec la Nature est le résultat de « de plus en plus de moins en moins. » « La Nature est l’essence même de la simplicité », écrit Babuji. Lors de notre nettoyage du soir, nous éliminons les impuretés et les complexités. Quand nous éliminons les impuretés, il reste la pureté. Quand nous éliminons les complexités, il reste la simplicité.
10) Faites en sorte d’avoir de la compassion pour les autres, pas seulement pour vous
Tout comme la justice doit être impartiale, la compassion doit l’être aussi. Elle doit s’étendre à tous sans préjugé, préférence ou discrimination. La compassion pour soi n’en est que l’une des manifestations. Mais nombreux sont ceux qui ne vont pas aussi loin, se contentant d’être compatissants envers eux-mêmes, tout en restant insensibles aux autres. Il n’y a pas là de véritable « compassion », mais que de l’égoïsme. Est-il possible de rester joyeux alors que d’autres souffrent autour de nous ? Un cœur humain ne peut rester insensible au malheur des autres. Les traditions spirituelles du monde entier nous demandent de cultiver la compassion et d’autres attitudes altruistes et bienveillantes. Par exemple, dans le chapitre I.33 des Yoga Sutras, Patanjali nous conseille de développer la gentillesse, la compassion, la joie, et l’indifférence à l’égard des malfaiteurs. Le bouddhisme appelle ces quatre qualités les brahma-viharas, c’est-à-dire non-mesurables. Ces quatre qualités sont également mentionnées ensemble dans les traditions bhakti et jaïn. On peut les considérer comme des valeurs universelles.
11) Faisons en sorte que la joie, la gratitude et l’humilité deviennent la nature même de notre climat. Choisissez délibérément un climat qui ne peut que dilater votre cœur
Les qualités suivantes, énoncées par le sage Ashtavakra, sont les caractéristiques d’un climat intérieur évolutif :
« Si tu cherches la libération, mon fils, évite les objets des sens comme du poison et cultive le pardon, la sincérité, la compassion, le contentement et l’honnêteté comme antidote ».
- Ashtavakra Gita |I.2|
Il existe différents spectres de joie et chacun nous nourrit à un niveau particulier. Anandam ou félicité est son état pur, authentique. Alors que le contraire de la joie est le chagrin et le contraire du plaisir la douleur, la félicité n’a pas de contraire. Lorsque la félicité se reflète au niveau physique, elle est vécue comme un plaisir qui nourrit le corps grossier. Lorsqu’elle se reflète dans le système subtil, elle est vécue comme une joie qui nourrit tous les corps subtils. Dans sa forme authentique, anandam nourrit le corps causal, l’anandamaya kosha. L’expression de la félicité dans l’anandamaya kosha vient du fait qu’elle est proche de l’atman, qui est potentialité pure.
Plus l’expression de la félicité est grossière, moins l’expérience est gratifiante. Ainsi, le souvenir d’un plaisir passé laisse souvent frustré. Il alimente le désir de répéter cette expérience. En revanche, le souvenir d’une joie passée a tendance à recréer cette même joie dans le présent. Avant de commencer notre voyage spirituel, nous avons tendance à nous identifier au plaisir au niveau physique avant de nous orienter vers l’identification à la joie et enfin vers l’identification à la félicité. Mais pour avancer vers l’atman, nous devons transcender notre identification à la félicité, car l’atman est au-delà de la félicité.
Accomplir cette transition est le travail du Maître. Il n’est pas possible de renoncer à la félicité, car la condition de renoncement produirait encore plus de félicité. Nous devons donc laisser ce travail au Maître. Nous devons nous consacrer à créer de la joie en nous, à l’aide des méthodes présentées ci-dessus. Ce n’est qu’en arrivant à la joie parfaite, à l’état d’anandam, que nous aurons peut-être l’opportunité de transcender cet état, et au-delà de pénétrer dans le domaine de la potentialité et de la Rienté.
Avec amour et respect,
Kamlesh