Introduction au livre « Authentic Yoga – les yoga sutras de Patanjali »

Auteur, P. Y. DESHPANDE

Préface

Aujourd’hui, si vous allez dans n’importe quelle librairie ou faites une recherche sur n’importe quelle plateforme de livres en ligne, vous trouverez une multitude de livres sur le thème du yoga, mais seule une poignée d’entre eux pourront offrir la profonde richesse de compréhension que nous trouvons dans ce trésor rare que nous offre Purushottam Yeshwant Deshpande (1899-1986). C’est une lecture indispensable pour toute personne désireuse d’étudier sérieusement le yoga et la spiritualité.

Qu’est-ce que ce livre a de si particulier ? P.Y. Deshpande a été une présence littéraire majeure dans la langue marathi de l’Inde, surtout pendant la période entre 1925 et 1945. Penseur original doté d’une vision globale, il a introduit une approche entièrement nouvelle de la littérature, en particulier du roman marathi. Et après s’être tourné vers la spiritualité et avoir rencontré J. Krishnamurti en 1961, il a donné à cette vision et à cette originalité littéraire une toute nouvelle dimension. Ses derniers livres, dont des interprétations de la Bhagavad Gita, des discours du Bouddha et des Yoga Sutras de Patanjali (Le Yoga authentique), ont été écrits en anglais et lui ont apporté une reconnaissance internationale. Considéré comme un idéaliste et un révolutionnaire, il ne s’est pas contenté de copier et d’imiter les interprétations séculaires des textes anciens, mais a choisi sa propre voie originale, ce qui lui a valu de nombreuses critiques de son vivant.

Il est renommé pour ses vastes connaissances, son brillant esprit d’analyse, son intensité émotionnelle, son honnêteté intellectuelle et son esprit passionné de recherche sur le destin de l’homme. C’était un chercheur de Vérité. Son haut niveau de réflexion, sa vaste expérience et son style d’écriture très éloquent rendent ses écrits assez difficiles à lire car ses textes regorgent de concepts abstraits et d’idées originales à chaque page. Pour un chercheur avide de l’Ultime, cependant, tourner chaque page de ce livre est comme explorer un nouveau jardin secret, rempli de plantes et de fleurs magnifiques. C’est comme un catalyseur d’introspection, et il permet de plonger plus profondément dans les principes universels du yoga, tels qu’ils ont été présentés au monde par le grand sage Patanjali.

Le Yoga authentique est considéré comme l’œuvre la plus remarquable de P.Y., elle est le résultat d’une étude intense et d’une profonde méditation accomplies au crépuscule de sa vie. Dans l’introduction, P.Y. pose la question fondamentale et rhétorique que très peu de philosophes ou de yogis se sont jamais vraiment posée : Qu’est-ce que le yoga ? Sa réponse est que le yoga est un darsana à part entière, basé sur la « vision pure » ou la perception directe. Il fournit des explications sur des sujets tels que la nature d’un esprit méditatif, la pureté de la conscience qui en résulte comme moyen de réaliser notre potentiel humain, et ce qui se passe lorsque nous succombons aux goûts et aux dégoûts, le tout d’une manière scientifique très pure et sans fioritures. Il est intéressant de noter que cette approche est très similaire à celle de mon propre maître spirituel, Pujya Shri Ram Chandra de Shahjahanpur (1899-1983), connu de beaucoup sous le nom de Babuji, qui était le contemporain de P.Y. Tous deux fondent leur philosophie sur la perception directe et l’intuition par la pratique spirituelle, tous deux sont originaux dans leur approche, et tous deux fuirent le feu des projecteurs, préférant la vie simple d’un chercheur de la Vérité.

Les derniers mots de P.Y. furent : « Tout est bonheur. Tout est félicité ! » Puisse ce livre exceptionnel inspirer au lecteur l’envie de développer lui aussi la conscience de ce bonheur sublime, qui est possible grâce à une approche pratique du yoga.

Kamlesh D. Patel, le 29 mai 2021, à Kanha Shanti Vanam

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Introduction

Ce livre propose une nouvelle recherche et une nouvelle approche de la compréhension du yoga tel qu’il est exposé dans les Yoga sutras de Patanjali. Il est nécessaire d’expliquer pourquoi il faut ajouter un livre de plus à la vaste littérature disponible sur le sujet dans le monde entier, dans de nombreuses langues.

Tout d’abord, aucun commentateur, pas même Vyasa, ne donne de réponse précise à la question fondamentale : qu’est-ce que le yoga ?

Patanjali lui-même nous apporte la réponse dans le titre même de son livre, Yoga Darsanam. Mais ce titre n’a fait l’objet d’aucun commentaire pertinent de la part de quelque commentateur que ce soit. Darsanam ou darsana signifie « regarder, voir, observer », mais aussi « connaître, comprendre, percevoir », et peut également signifier « une enquête, un examen ».

Même traditionnellement parlant, tout comme le Nyaya, le Vaisesika, le Sankhya et le Vedantasont des darsanas, chacun avec sa propre méthode d’enquête et sa propre approche de la réalité, le Yoga est aussi un darsana, avec sa propre approche de la réalité, basée sur sa méthode unique d’enquête sur la nature et la structure du monde, et sur l’homme qui regarde et trouve son être dans le monde.

Les traditionalistes ont généralement refusé au yoga le statut de darsana. Ils en sont venus à supposer que le yoga n’était qu’une question de pratique, fondée sur la vision Sankhya de la réalité. Il a donc été de tradition de maintenir que le yoga n’est pas un darsana à part entière. Le nom traditionnel donné à cette conception erronée est Sankhya Yoga. En raison de cette vision prestigieuse mais erronée, le yoga n’a pas reçu l’attention qu’il mérite. Ce petit livre tente de remédier à ce défaut et de faire une nouvelle étude du yoga en tant que darsana à part entière.

Le fait que le livre des Yoga sutras de Patanjali ne fasse référence à aucun autre darsana, pas même au Sankhya, renforce l’idée que cette approche du Yoga est la bonne. Hormis le fait qu’il utilise les mots purusa et prakrti, termes également utilisés par le Sankhya Darsana, l’ensemble de sa conception du monde et de la relation de l’homme à celui-ci est unique et n’a rien à voir avec aucun autre darsana. Même les termes fondamentaux de Sankhya, purusa et prakrti, lorsqu’ils sont utilisés dans les Yoga sutras, ont des significations qui ne sont pas totalement identiques à celles qui leur sont données dans le Sankhya Darsana. Et les trois gunas, mentionnés dans le Sankhya comme les attributs innés de la Prakrti (Nature), Satva, Rajas et Tamas, se voient attribuer trois noms différents dans le Yoga Darsana. Ici, ils sont appelés prakasa, kriya, sthiti. Ces mots ont des significations qui ne peuvent être assimilées à celles données à satva, rajas et tamas dans le Sankhya Darsana.

Cependant, je n’ai pas l’intention d’entrer dans une controverse avec les traditionalistes. Ayant étudié le Yoga Darsana, il est clair pour moi que toutes les controverses sont totalement futiles. Je ne me préoccupe que d’une seule chose : enquêter à nouveau et comprendre le Yoga Darsana, indépendamment de toute comparaison avec tout autre darsana ou discipline.

2 – Les Yoga sutras sont un exposé des faits tels qu’ils sont vus dans leur authenticité existentielle. Ils ne peuvent être vus ainsi qu’après une enquête indépendante et radicale sur la nature et la structure de la situation existentielle. Cette situation existentielle toujours présente se dévoile à nous par l’acte même de la vision pure. Cet acte de voir n’est pas créé par l’homme ou le mental. Il découle de la nature même de l’être humain. Lorsque nos yeux sont ouverts, nous voyons tout ce qui se trouve dans notre champ de vision. Il est impossible de souhaiter que cette vision disparaisse. Les souhaits ou toute autre forme d’idéation sont sans rapport avec l’acte de voir. C’est plutôt l’homme en tant qu’entité existentielle qui regarde ce qui est déjà là dans sa majesté et son immensité existentielles. À une extrémité de cette situation existentielle se trouve « celui qui voit » et à l’autre extrémité se trouve « ce qui est vu ». L’interaction entre ces deux entités explose en une vision (darsana). Cette vision est simplement la conscience sans choix de la totalité de ce qui est, dans son authenticité existentielle. C’est une vision intacte et non ternie par une quelconque activité mentale.

Le caractère unique des Yoga sutras réside dans le fait qu’ils considèrent l’acte primaire de regarder le monde comme le fondement même du Yoga Darsana (la vision de la réalité). Ainsi, l’acte de voir lui-même révèle la nature de la situation existentielle comme étant la triade voyeur-vu-vision (drastadrsy adarsana).

Chacune de ces trois composantes de la réalité est distincte des deux autres. Mais cette distinction découle d’une clarté de vision qui n’a rien à voir avec les divisions de l’espace et du temps. Ces divisions apparaissent lorsque l’idéation intervient et usurpe la place de la vision pure. Ces trois composantes intégrales émergent pour ainsi dire du néant, à la suite de l’acte même de voir : elles ne sont pas fabriquées par l’homme ou par l’esprit.

L’acte de voir est semblable au fait de respirer. Un homme respire continuellement, qu’il en soit conscient ou non. La respiration est une activité existentielle. Dire « je respire » est une idéation. De même, voir est une activité existentielle. Mais dire « je vois » est idéationnel. En fait, ce qui permet à l’homme de voir, d’enquêter, de comprendre, c’est le « voyant » au sens existentiel du terme. D’autre part, le sens du « je suis » ou de l’identité personnelle est un produit du passé, qui n’a aucun rapport avec le présent vivant dans lequel la réalité demeure. La réalité « existe » indépendamment de ce que l’homme pense, ressent ou fait. Mais sur le plan idéologique, la notion du « je suis » usurpe la place du « voyant » existentiel et devient ainsi la source de toutes sortes de confusion. Lorsque l’on dit : « Je suis celui qui voit ou celui qui observe », on inclut implicitement dans ce « je » son propre corps, ses sens et son esprit. Or, tous ces éléments sont susceptibles d’être observés soit directement, comme dans le cas du corps, soit dans le cadre de leur fonctionnement, comme dans le cas des sens et du mental. Ils appartiennent donc au domaine du « vu ». La notion du « Je suis » est donc constituée de la fusion du « voyant » et du « vu » (II-6). C’est un concept né de la confusion. Le fait est que l’énergie qui permet à l’homme de voir (drk- sakti) et l’énergie qui constitue le « vu » (darsana- sakti), y compris les images mentales et les objets matériels ou les objets de la vie quotidienne ou les événements, sont deux énergies distinctes qui sont constamment en interaction mutuelle. Elles ne doivent jamais être confondues l’une avec l’autre et ne sont pas interchangeables. Si elles l’étaient, la perception elle-même s’effondrerait complètement et tout serait réduit à un chaos inintelligible. C’est pourquoi le Yoga donne pour « Je suis » (asmitã) la définition suivante : « Supposer que l’énergie qui permet de voir [drk- sakti) et l’énergie qui constitue le vu [darsana- sakti] sont une seule et même chose, est une tension appelée asmita, qui signifie « je suis « (II-6). »

L’asmitã est décrite comme une tension (klesa) car elle génère une contradiction entre ce qui est, l’existentiel, et ce que l’on croit voir exister – l’idéationnel. Cette tension naît de l’inattention et donc de l’inconscience (avidya) de ce qui, d’instant en instant, est réellement. Cette inconscience (avidya) est le terreau dans lequel prennent racine toutes les autres tensions (II-4). Et ce n’est pas tout : elle fait basculer la vision que l’homme a de la réalité (II-5).

Le yoga est donc un état d’être extraordinaire dans lequel le processus de choix du mental cesse de fonctionner et où l’on reste dans un état de conscience sans choix de « ce qui est » (I-2). Bien qu’extraordinaire, il reste à la portée de tout être humain. Il n’est extraordinaire que par contraste avec l’état de condition ordinaire dans lequel l’homme naît et grandit. Cet état conditionné est maintenu par la pression des normes prestigieuses de la conformité sociale, mais il peut être remis en question par tout homme disposé à le faire dans le souci de découvrir la vérité qui sous-tend son mode de vie conditionné et conformiste. Un tel défi exige que l’on soit libre. L’homme sait qu’il a la liberté de choisir. Mais il pose rarement la question fondamentale de savoir ce que signifie et implique cette liberté, alors même que son identification aux résultats de ses choix le conduit de manière répétée et inévitable à des tensions, des conflits et la détresse. Mais quiconque se soucie d’affronter cette situation sera obligé de poser la question suivante : qu’est-ce que la liberté après tout ? Se limite-t-elle à choisir et à faire de l’homme une victime de la logique implacable et corrompue de ses choix ? Ou bien y a-t-il quelque chose de plus implicite dans la nature même de la liberté ? La liberté de choisir implique-t-elle aussi la liberté de ne pas choisir ? Il doit nécessairement en être ainsi. Sinon, le mot liberté perdrait tout son sens. C’est cette découverte capitale qui a inspiré la vision de la réalité qu’est le Yoga Darsana.

La liberté doit signifier la liberté de choisir ou de ne pas choisir. Ne pas choisir, c’est aussi faire un choix, mais étant négatif, ce choix acquiert une dimension tout à fait nouvelle. En effet, le choix de ne pas choisir met fin, une fois pour toutes, à l’identification de l’homme avec le monde de l’idéation, de l’illusion et de la croyance, générés par le choix. Il entraîne une révolution radicale du mode de vie conditionné dans lequel l’homme est englué. Il rejette résolument tout ce qui appartient au domaine de l’idéationnel et met l’homme face à la situation existentielle. L’homme, ainsi mis face à la situation existentielle, n’est plus qu’un point focal de la pure conscience. C’est ce qu’on appelle communément le « je » – un simple nom, sans aucun attribut, pas même celui de « je suis ». C’est comme un point qui aurait une position mais pas de magnitude (swarupa-sunyamiva, III-3). C’est un point sur lequel toutes les choses convergent et à partir duquel tout acquiert une signification rayonnante. C’est ce que signifie le Yoga tel qu’il est décrit en I-2. Le yoga est citta-vrtti-nirodha – un état d’être dans lequel le processus de sélection des idées est interrompu. Comme l’expliquent les notes et commentaires qui suivent cette introduction, il s’agit d’un état qui naît de l’exercice par l’homme de sa liberté innée d’aller vers le non-choix. Ce non-choix n’implique aucun contrôle égocentrique, aucune suppression ou répression des pensées, ni aucun effort d’aucune sorte. Il s’agit simplement d’exercer la liberté dans la bonne direction et de laisser la situation existentielle révéler ce qui peut l’être, sous le regard ardent de la perception pure.

Il est regrettable que tous les commentateurs, à l’instar de Vyasa, n’aient pas compris la signification des mots citta- vrtti-nirodha, qui sont effectivement en accord avec le thème central du Yoga Darsana, à savoir le fait de se libérer (kaivalya) de toutes les servitudes de la conscience conditionnée. Par conséquent, choisir de ne pas choisir, c’est faire le premier et dernier pas vers kaivalya (liberté totale).

Les quatre premiers Sutras énoncent en quelques mots l’essence même du Yoga Darsana. Ils nous disent, en termes d’impératif existentiel, que l’homme doit opter pour le non-choix et exercer sa liberté innée dans cette direction négative (citta-vrtti-nirodha) s’il veut s’établir dans son identité existentielle. La seule autre option qui s’offre à lui est de se retrouver empêtré dans l’identification aux choix (vrtti-sarupya, I-4) et de subir les conséquences des inévitables tensions, conflits et souffrances qui en découlent. La situation existentielle n’offre aucune autre alternative.

3 – Une autre contribution d’une grande profondeur et d’une importance décisive que le Yoga Darsana apporte à la compréhension de la situation existentielle est la suivante : il établit une distinction claire et nette entre, d’une part, une vue ou une vision née de l’inconscience de ce qui est (avidya) et, d’autre part, une vision née d’une conscience attentive de l’inévitabilité de la souffrance résultant d’un attachement stupide et obstiné au concept du « Moi » et aux motivations que cela engendre. La première est appelée « avidya-khyati « (II-5) et la seconde est appelée « viveka-khyati » (II-15 à 26). Le mot khyati signifie darsana ou vision.

Il y a donc deux types de vision sur lesquels le Yoga Darsana attire notre attention. L’une est un héritage qui persiste dans l’esprit et la conscience de l’homme.  Elle est donnée à l’homme par le flux de la nature (Prakrtyapura, IV-2), et est inconsciemment renforcée par son héritage culturel et social. À la base, se trouve l’identification avec les formes que prennent les choix.

Sous l’influence de cet héritage, l’homme considère comme allant de soi qu’en tant que produit de la nature, il est totalement séparé du monde objectif et phénologique. Il croit donc que tout ce qu’il peut faire pour comprendre ce monde et établir une relation significative avec lui, c’est d’y puiser et de soumettre ce qu’il a choisi à un examen rationnel par la méthode des essais et des erreurs.

L’homme suppose donc qu’il n’a pas d’autre choix que de choisir et d’entraîner sa liberté innée à choisir de plus en plus rationnellement. Mais on peut alors poser la question suivante : qu’est-ce que la raison ? La raison ne peut être que ce qui rejette toutes les hypothèses gratuites. Et comme à la racine de toutes les suppositions se trouve la notion de « je suis » – un produit de la conscience conditionnée, la raison étant devenue la proie de la supposition que le « moi » ou l’ego est à la fois « celui qui voit » et « celui qui choisit », elle doit toujours rester suspecte. C’est pourquoi le libre examen, et non l’effort de la raison déjà pervertie par des présupposés, est la seule approche possible de la compréhension de la réalité interne et externe. Ce libre examen est à la base de l’approche yogique de la réalité. Être dans un état de libre examen, c’est être dans un état de conscience sans choix, ce qui est le début du yoga ou de la méditation

À la lumière de ce qui précède, il ne devrait pas être très difficile de voir que c’est avidya-khyati qui domine de façon écrasante la scène de la vie humaine dans le monde entier. Il en a été ainsi tout au long de l’histoire, à l’exception de quelques moments de lucidité ici et là. Le fait que l’homme soit toujours victime de tensions, de conflits et de chaos, qui se répètent et l’entraînent inévitablement dans une détresse sans issue, est une preuve suffisante qu’il n’a pas encore trouvé de fondement raisonnable et sûr à son approche de la situation existentielle.

Une compréhension claire des Yoga sutras offre un moyen de sortir de cette situation difficile. Les notes et commentaires sur les sutras de la deuxième partie du texte traitent de ce problème. Les points à noter à cet égard peuvent être résumés comme suit :

  1. Tant que l’homme n’est pas conscient de ses tensions internes et qu’il ne trouve pas d’issue à leurs tentacules, il n’y a aucune possibilité pour lui de se confronter à la situation existentielle dans son ensemble. Et tant qu’on laisse les tensions suivre leur cours, tout discours sur le progrès et le bien-être de l’homme ne peut que rester totalement dénué de sens et conduit inévitablement au désespoir et à la souffrance. Toutes les tentatives idéologiques et technologiques pour échapper aux tensions et à la détresse ne peuvent qu’encore aggraver cette détresse à cause des faux espoirs qu’elles génèrent.
  2. Considérer cette situation comme une distorsion de la situation existentielle créée par le mental des humains et s’y confronter sans chercher à y échapper par un quelconque palliatif, c’est établir le premier contact vital avec la réalité. C’est précisément ce contact avec la réalité qui révèle la bonne façon de comprendre que la nature et la structure réelles de la conscience conditionnée d’une personne sont le produit des tensions et des moyens idéologiques permettant d’y échapper.
  • La meilleure façon de se libérer de toutes les tensions est la voie du pratiprasava. Cela signifie un voyage d’exploration à rebours, qui consiste à remonter des tensions périphériques de surface jusqu’à leurs racines mêmes. C’est la voie de la méditation. Pendant la méditation, notre mental reste en suspens, et seule la perception pure est autorisée à agir sur toutes les impulsions qui émergent de notre conscience conditionnée. Le pouvoir d’investigation et de pénétration d’une telle perception est tel que les impulsions, lorsqu’elles se manifestent, sont vues sous leur vrai jour, avec toutes leurs motivations égocentriques. Étant vues pour ce qu’elles sont réellement, et parce que les méfaits dont elles sont capables sont bien compris, elles disparaissent une fois pour toutes, laissant le mental propre et clair comme du cristal.
  • C’est à partir d’un mental ainsi purifié que naît une intelligence (viveka) critique pénétrante et douée d’un discernement aigu. Cette intelligence, qui a ses racines dans la situation existentielle, est capable de reconnaître et de faire la différence entre l’éternel et l’éphémère, le pur et l’impur, et entre le bonheur et la tristesse. Grâce à cette perception claire qui ne laisse jamais place à la confusion, cette intelligence (viveka) qui vient de naître détruit une fois pour toutes la vision née de l’avidya (II-5). La clarté de la vision illumine désormais la scène existentielle en permanence, sans retomber dans l’avidya-khyati.
  • C’est la clarté de cette vision née de l’intelligence (viveka) qui permet de voir ce que signifient réellement les mots « drasta » (celui qui voit) et « drsya » (ce qui est vu, ou le monde objectif). Celui qui voit n’est que pure énergie de la vision. Mais à cause de son identification avec la notion de « je suis », l’homme a tendance à tout voir à travers le voile de ses expériences passées (11-20). Le passé mort éclipse ainsi le présent vivant si complètement que la distinction même entre le « voyant » et le « vu » devient totalement confuse et que la vision de l’homme est complètement déformée. Il oublie alors que le « voyant » ne peut jamais être le « vu », et que le « vu » ne peut jamais être le « voyant ». Confondre les deux de cette manière, c’est perdre la clarté de la vision et s’exposer à de perpétuels problèmes et difficultés.
  • La nouvelle intelligence (viveka) révèle également ce que signifie exactement le mot « vu » :
  • L’énergie dont le « vu » est constitué comporte trois attributs : l’inertie, le mouvement et l’illumination. Cette énergie est totalement distincte de l’énergie qui rend possible la vision pure dont « celui qui voit » est constitué ;
  • Ce qui est vu est un composé de matière organique et inorganique ; et
  • La raison d’être de l’existence de « ce qui est vu » est d’offrir des expériences (bhoga) à « celui qui voit » et d’aider ainsi l’homme (celui qui fait l’expérience) à se libérer de toute servitude (apavarga) (II-18).
  • Ainsi, selon le yoga, le « voyant » d’un côté et le « vu » de l’autre sont de même envergure que l’univers entier, et les interactions existentielles entre ces deux-là englobent tout le mystère de la vie et du cosmos. La nature de cette interaction est mal comprise par l’homme tant qu’il continue à regarder le monde et lui-même à travers l’écran de ses expériences passées. Et lorsqu’ il voit et comprend le mal que cela fait à la vie, l’intelligence entre en scène et clarifie la vision. Cette vision née de viveka (l’intelligence) est appelée viveka-khyati.
  • Viveka-khyati est donc ce qui ouvre la possibilité d’un nouveau mode de vie appelé « l’octuple mode de vie » (Astanga Yoga, II-29).
  • Cet « octuple chemin de vie » dévoile le mystère qui sous-tend l’interaction entre le « voyant » et le « vu ». On voit alors que la connaissance ou la compréhension qui naît de viveka-khyati n’est pas accumulative mais créative, qu’elle est capable de tout comprendre de la bonne manière et qu’elle est dépourvue de toute séquence temporelle (III-54).
  1. Il est pertinent de noter à cet égard que le Yoga Darsana donne un sens particulier au mot « intelligence » (viveka). Cela n’a rien à voir avec l’intelligence vue sous l’angle de son acception courante et approximative dans la vie quotidienne. Le mot intelligence, tel qu’il est couramment utilisé, ne signifie rien d’autre qu’une habileté égocentrique ou une extravagance utopique.
  1. Une fois de plus, il faut noter également que le Yoga Darsana rejette toutes les formes de soi-disant progrès ou d’enrichissement de l’esprit et de la vie humaine qui ne sont pas ancrées dans la viveka- khyati. Bien au contraire, tant que la viveka- khyati ne sera pas présente, rien de ce que l’homme peut faire, même marcher sur la lune, ne le fera avancer d’un pouce vers la découverte de son identité existentielle.
  1. Seule cette découverte lui permettra de transcender la tyrannie des conditionnements naturels et sociaux. Seule cette transcendance, cette libération, peut établir l’homme dans un mode de vie radicalement nouveau, dans lequel il est toujours en mouvement vers une création sans cesse renouvelée et une liberté totale. Seule cette approche fera qu’une ère de coopération créative entre l’homme et l’homme et entre l’homme et la nature puisse voir le jour.

4 – Pour les besoins de cette introduction, un seul point supplémentaire doit être ajouté. Ce point est pertinent pour la situation humaine contemporaine, et sans lui, la contribution unique et immense du Yoga Darsana à la compréhension humaine dans son ensemble resterait terriblement inadéquate.

Il s’agit d’un point qui traite de la nature précise de trois choses interdépendantes : le mental, la vie et la réalité.

La quatrième et dernière partie du texte, traite du mystère entourant ce qui est censé être indiqué par ces trois mots. Ce qui suit est un résumé de ce que les Sutras de la partie IV ont à dire à ce sujet, et constitue l’essence même de ce qui a été exposé dans les trois parties précédentes.

  1. Tout d’abord, le monde objectif est considéré comme un produit du flux de la nature (Prakrtyapur, IV-2). Cela correspond à la vision scientifique moderne de l’univers. L’apparition de la mutation des espèces est également attribuée à ce même flux de la nature. Cela anticipe également la vision scientifique moderne de l’évolution naturelle des espèces. L’apparition de l’homme sur la scène mondiale est donc une question qui appartient au mystère sous-jacent à la mutation des espèces.
  2. Le Yoga Darsana va plus loin que la science moderne et pose la question suivante : où devons-nous exactement chercher la source du mystère qui sous-tend cet univers dans lequel l’homme trouve son existence ? Si vous vous concentrez uniquement sur « ce qui est vu », le monde matériel observable, vous ne tiendrez pas compte du « celui qui voit » et entreprend la recherche. De même, si vous vous concentrez uniquement sur « celui qui voit », l’homme, vous ignorez le monde extérieur. Par conséquent, selon les sutras, le point de départ de la recherche de la réalité doit être une enquête sur la nature de l’interaction existentielle entre le « voyant » et le « vu ». C’est cette interaction qui relie l’homme au monde. Et c’est cette interaction qui explose en une vision de ce qui est, intérieurement et extérieurement.
  3. Deuxièmement, selon les sutras, la vision de l’homme de « ce qui est » est décisive pour une approche correcte du mystère qu’est la réalité. Il en est ainsi parce que l’homme est le produit final de l’énergie de mutation de la nature. Une fois provoquée, la mutation reste irréversible. Les espèces autres qu’Homo sapiens restent dans leurs schémas spécifiques de réponse aux défis jusqu’à ce qu’elles se dégradent et s’éteignent. L’Homo sapiens est la seule espèce qui porte en elle l’énergie d’être consciente d’elle-même dans sa relation dynamique avec le monde. C’est comme si le flux entier de la nature ou de l’évolution cosmique prenait conscience de lui-même en l’Homme.

Et c’est le don du langage qui permet à l’homme d’être aussi conscient de lui-même. L’homme seul peut dire : « Je suis moi. Je ne suis pas l’autre et je ne pourrai jamais être l’autre ». C’est cette conscience de soi qui distingue l’homme du reste du monde animé et inanimé. Et donc la source du mystère qui sous-tend la réalité doit nécessairement se trouver dans le langage et dans la conscience de soi née du langage. Mais le langage qui permet à l’homme d’être conscient de lui-même ne peut pas franchir les frontières du « Je suis moi. Je ne suis pas l’autre, et je ne pourrai jamais être l’autre ». L’utilisation du langage au-delà des frontières de cette conscience de soi doit toujours rester déductive ou imaginative. En d’autres termes, le langage doit toujours rester idéationnel et se distinguer de la nature existentielle de la conscience de soi. C’est pourquoi la recherche de la compréhension de la réalité doit être ramenée à une enquête sur les racines qui permettent de découvrir la nature de la conscience de soi chez l’homme. Et puisque les opérations conscientes de prise de décision, basées sur le complexe cerveau-mental, se trouvent à la base de toute vision que l’homme se forge et à laquelle il s’accroche à propos de lui-même et du monde, l’enquête sur la réalité des choses doit en outre se concentrer sur la nature et la structure de la psyché de l’homme.

L’homme, en tant que produit final de l’énergie de mutation du flux de la nature, doit chercher et trouver la bonne façon de se regarder et de regarder le monde, pour être fidèle à sa nature. Il doit découvrir quand et comment sa vision de ce qui est, à l’intérieur et à l’extérieur, acquiert la dimension de la réalité, et il doit aussi découvrir ce qui interfère et déforme la perception correcte de la réalité. Si l’homme n’y parvient pas, il devra suivre le chemin de nombreuses espèces disparues. Et toute la motivation et le but du Yoga Darsana est d’aider l’homme à acquérir une vision juste de la réalité et éviter ainsi l’extinction totale.

  • Nous avons déjà vu comment l’homme, s’identifiant à ses choix idéationnels, se retrouve piégé dans les tensions, les conflits, le chaos et la souffrance ; et comment cette vrtti-sarypya aboutit perpétuellement à une vision du monde déformée et irréelle, appelée avidya-khyati. Et nous avons également vu comment une prise de conscience totale des méfaits de l’avidya-khyati sur la vie humaine se transforme en une approche juste et une vision existentielle de la réalité, appelée viveka-khyati. La dernière partie du texte va plus loin dans la logique de la viveka-khyati et attire notre attention sur une distinction claire entre un esprit qui naît des impressions laissées par les expériences accumulées du passé qui sont activées par la mémoire, d’une part, et un esprit né de la méditation yogique, qui est libre de la domination du passé ou du connu. La première est appelée pratyayaja ou pravrttija citta (11-20 ; IV-3 à 5), et la seconde est appelée dhyanaja citta (IV-6), mental méditatif.

Les sutras soutiennent que toute recherche sur la réalité de l’homme et de sa relation vivante avec le monde doit commencer par une recherche des racines du mental humain, avec tous ses modes opératoires très subtils et déroutants. Ce sont en effet ces opérations mentales qui motivent tous les types d’efforts humains – séculiers, scientifiques, artistiques, religieux et mystiques. Les sutras de la quatrième partie décrivent en détail le fonctionnement du pratyayaja ou pravrttija citta (l’esprit conditionné) et le genre de situation difficile dans laquelle il place l’homme ; et deuxièmement, comment dhyanaja citta (l’esprit méditatif) opère et entraîne une véritable transformation mutationnelle de l’esprit conditionné.

  • Ce qui suit est un résumé de ce que les sutras disent de pratyayaja ou pravrttija citta (esprit conditionné) :
  • Le mental humain, né du flux de la nature (prakrtija citta), est une seule et même chose pour l’humanité dans son ensemble. Cet esprit que les hommes ont en commun est le produit d’une transformation mutationnelle provoquée par le flux de la nature. Mais cette qualité mutationnelle du mental est déformée et l’unité de ce mental se fragmente en esprits individuels. Cela se produit parce que les individus ont tendance à exercer leur liberté innée de choisir, pour servir leurs objectifs égocentriques mesquins, auxquels ils s’identifient. Ils restent ainsi inconscients de la dynamique vitale de mutation inhérente à l’esprit humain. Ils ne sont pas non plus conscients du fait que l’homme ne peut ni créer ni maintenir le flux de la nature, et que tout ce qui lui est offert est de profiter du flux existentiel de la nature pour se comprendre et comprendre sa relation avec le monde. En raison de cette double méconnaissance de la situation existentielle de l’homme, les êtres humains individuels s’enferment dans des choix égocentriques et continuent ainsi à fragmenter indéfiniment l’esprit conçu par la nature et commun à l’humanité dans son ensemble. Ces esprits individuels fragmentés diffèrent les uns des autres en raison de leurs différences dans leurs choix égocentriques. Tous ces esprits individuels fragmentés sont les fruits de la conscience du « je suis » (IV-2 à 6).

Les actions (karma) de ces esprits égocentriques fragmentés prennent trois formes :

  • Brillante
  • Sombre
  • Un mélange des deux

Aucune d’entre elles ne découle d’un contact vital avec la réalité ou la situation existentielle. Par conséquent, ces actions confuses, égocentriques et idéationnelles produisent des résultats correspondant à leurs propres caractéristiques. Elles sont fondées sur les impressions laissées par les expériences passées (samskaras), et sont activées par la mémoire (smrti). Ces impressions et la mémoire se fondent en un complexe, et deviennent indiscernables. Dans ce complexe, les lieux et les moments réels des expériences individuelles passées se fondent également et deviennent indissociables. Ainsi, ce qui a disparu (le passé, l’atita) et ce qui est encore à venir (le futur, l’anagata) coexistent tous deux dans ces esprits conditionnés.

Lorsqu’un esprit ainsi conditionné rencontre le présent vivant, il réagit selon les termes du passé qui projetait des attentes à venir. C’est ainsi que naît la matrice temporelle, constituée du temps considéré comme une séquence sans fin de passé-présent-futur. Cette temporalité créée par le mental est projetée sur le monde extérieur, comme si elle appartenait au monde extérieur lui-même. L’esprit conditionné voit donc le monde comme un ordre temporel, ayant la causalité comme force motrice.

La causalité présuppose une succession d’instants, les premiers étant considérés comme les causes des suivants, et ce à l’infini. En réalité, disent les sutras, temps et causalité sont tout simplement ce qu’un mental conditionné projette sur le monde extérieur. N’étant pas conscient de ce fait, l’homme se retrouve piégé dans un mode de vie ancré dans la temporalité (composée d’une séquence sans fin de passé-présent-futur), dans laquelle celui qui vit dans le présent, l’existentiel, devient perpétuellement une victime dans chacune de ses rencontres avec la réalité. Ce mode de vie est semblable à celui de l’âne du proverbe : il court en permanence après la carotte qui reste toujours hors de sa portée (IV- 8 à 10 et 12). On peut noter ici que le temps, tel que mesuré par l’horloge, n’a rien à voir avec la temporalité et la causalité en tant que fixation mentale.

  • Que doit alors faire l’homme ? Le sutra IV-11 répond à cette question. L’homme doit s’arrêter un moment, s’interroger et découvrir ce qui se cache derrière son mode de vie idéationnel et illusoire qui ne perdure que grâce à d’interminables espoirs. Celui qui fait cette recherche découvre que quatre facteurs sont à la base de ce mode de vie conditionné. Ce sont :
    • les motivations,  
    • les résultats de ces motivations,     
    • les supports matériels produits par ces résultats,       
    • la dépendance à l’égard de l’ensemble de ce processus qui se perpétue par de faux espoirs.

Une perception claire de chacun de ces quatre facteurs fonctionnant comme une chaîne sans fin de réactions idéationnelles donne un aperçu de tout le mystère de la temporalité. À la racine de cette temporalité se trouvent les actions sans commencement (karma) déclenchées par des désirs égocentriques intégrés (vasana). On les qualifie de sans commencement parce que les racines de ces motivations et actions égocentriques se cachent dans l’obscurité dense de l’origine même de notre espèce, dont le moment précis et la cause ne pourront jamais que rester une question de spéculation stérile (II-10).

  • Par conséquent, la seule façon de sortir de l’impasse dans laquelle se trouve l’homme n’est pas de spéculer sur les causes lointaines, mais de s’intéresser à « ce qui est » dans le présent vivant. Cette attention, chargée de l’esprit de libre examen, révèle que si l’homme a la liberté de choisir, il lui est possible d’exercer sa liberté en ne tenant aucun compte des quatre facteurs qui sous-tendent son mental conditionné et son mode de vie conditionné. Et lorsque, par cette méthode de conscience attentive, on se trouve installé dans la manière négative de vivre et d’explorer, on réussit à annuler la domination de ce complexe d’expériences passées qui ont laissé des impressions, ainsi que du souvenir que l’on en garde.

Cette façon négative de s’informer et de vivre vide l’esprit de tout son contenu. C’est la voie de la méditation (Dhyana). Elle entraîne la mort du mental conditionné et la naissance d’un nouveau mental, appelé dhyanaja citta (IV-6). Les actions qui émanent de ce mental nouvellement créé ne sont ni brillantes, ni sombres, ni mixtes (IV-7). Ce sont des réponses existentielles à une situation en constante évolution, à la différence des réactions idéationnelles déclenchées par le souvenir d’expériences passées.

  • Ce mental nouvellement né est libre de toute temporalité. Les voies adoptées par un mental pris dans la temporalité sont totalement différentes de celles du mental qui est né de la méditation – un état d’être non temporel. Ce mental qui médite ne se déplace dans aucune direction, ni dans le passé ni dans le futur. Il ne fait que refléter dans sa pureté la réalité de la situation existentielle. La réalité est ce qui reste une seule et même chose au fil de tous les changements. Ce nouveau mental est coloré par cette réalité. C’est la passion existentielle du mental qui réagit à ce qui est réel. La réalité devient ainsi connue, ou reste inconnue, en fonction de cette passion existentielle (IV-14 à 17).
  •  Ce nouveau mental, clair, calme et immobile, reflète le « voyant » d’un côté et le « vu » de l’autre. Il est comme le sein d’une vierge   capable d’une conception immaculée. Cette conception résulte de l’interaction existentielle entre « ce qui voit » et « ce qui est vu ». Sa nature n’est pas de l’ordre de l’action-réaction mécanique. Il est de nature créative. On l’appelle le mouvement de pratiprasava – une contre-créativité qui se distingue du caractère procréatif aveugle du flux de la nature. C’est l’accomplissement total, la raison d’être de l’existence même de l’homme. Ce n’est ni la perfection ni une finalité statique. C’est la fin du sens idéationnel du « je suis », d’une part, et le début de l’établissement de l’homme dans son identité existentielle, d’autre part. Désormais, l’homme, point focal de la conscience de la vision pure, se déplace en toute liberté et en harmonie avec le mouvement subtil et invisible de l’Être cosmique. Dans ce mouvement existentiel, les trois gunas, les trois énergies qui constituent « ce qui est vu », offrent leurs services à l’énergie créatrice de « celui qui voit » pour une création toujours nouvelle. Cette énergie créatrice est appelée citi-sakti – un mot avec lequel le Yoga Darsana s’achève (IV-17 à 34).

La vie est ce qui est doté de cette citi-sakti ou énergie créatrice. La        conscience de la vision pure, c’est-à-dire l’homme, opérant par le biais d’un mental transformé né de la méditation, rencontre les énergies triples du monde du « vu », le monde objectif, et explose en une création toujours nouvelle. La réalité est cette Créativité Rayonnante.

5 – Le yoga est une discipline de base, un préalable essentiel pour toute expérience religieuse, spirituelle ou mystique de la Vérité, de Dieu ou de la Réalité. La religion sans esprit religieux est comme un corps sans vie ni âme. Un esprit religieux est un esprit qui a vu et compris la nature et la structure de la conscience conditionnée avec toutes ses ramifications, et qui, par l’acte même de comprendre, s’est déchargé de tous ses résidus. C’est un mental mis face à la situation existentielle, par le choix de l’homme pour une nouvelle façon de vivre, laquelle trouve sa signification dans la discipline du yoga. La vérité, Dieu et la réalité doivent rester de simples mots dépourvus de toute substance ou signification en l’absence du yoga et de la clarté de vision qu’il génère. La réalité n’est pas seulement « ce qui est ». C’est une action créatrice qui transcende « ce qui est ». L’homme, sans cette transcendance, reste un simple animal dépourvu de toute conscience du « Cela » qui anime tous les êtres. Toute analyse à l’aide de n’importe quel instrument, idéationnel ou technologique, ne jettera jamais de lumière sur celui qui analyse, sur l’homme. En dernière analyse, c’est l’homme qui est la mesure de toutes choses. Et c’est l’homme avec son mental qui est le sujet du Yoga Darsana de Patanjali.

Il est risqué d’écrire quoi que ce soit sur le Yoga Darsana. C’est doublement risqué en raison de la manière d’exposer le sutra, telle qu’elle est proposée par ce grand auteur. Un sutra, disent les sages de l’Antiquité, est ce mode de communication dans lequel une vérité de portée universelle est condensée dans le plus petit nombre de mots possible, avec une clarté pure comme le cristal, et que les ravages du temps ne viendront pas ternir.

C’est peut-être la raison pour laquelle Patanjali n’a jamais pensé à ajouter un commentaire ou une note explicative aux Yoga sutras. Les sutras sont donc destinés à être médités plutôt que commentés. Ce petit livre est le résultat d’années de méditation, avec les sutras comme points de départ. Son principal objectif est d’attirer l’attention sur le thème central de la discipline du yoga, à savoir la perception de la vérité qui sous-tend l’être humain et sa façon de vivre. Si le livre transmet ce qu’il était censé faire, il peut alors être mis de côté et les lecteurs peuvent être laissés à leur propre méditation pour découvrir les merveilles cachées du yoga, ce qui ne saurait avoir de fin. Le yoga authentique est une discipline auto-correctrice et éternellement créative, aux potentialités infinies.

Cette introduction est suivie d’une nouvelle traduction des sutras, accompagnée de brèves notes explicatives et de commentaires. C’est Patanjali lui-même qui a divisé le texte en quatre parties. La partie I et la partie IV sont toutes deux exhaustives. Ceux qui ont saisi l’essence du yoga par une approche méditative de l’une ou l’autre de ces parties peuvent facilement anticiper ce qui est exposé dans les parties II et III. Celles-ci sont destinées à aider ceux qui, bien qu’ayant compris le contenu de la première partie, ne cessent de retomber dans les modes de pensée et de vie conditionnés.

Pour faciliter la compréhension, les sutras de chaque partie sont subdivisés en petits groupes, chaque groupe élucidant un point, comme s’il s’agissait d’un jalon sur le long et ardu chemin du yoga.

Encore un mot sur le titre de ce livre. Le mot « authentique » dans le titre peut sembler plutôt provocateur, mais il n’est pas du tout utilisé dans cette intention. Il est utilisé pour indiquer l’originalité stupéfiante de l’approche de la Réalité par Patanjali, laquelle porte en elle le parfum de l’authenticité existentielle. Les racines du yoga sont cachées dans les connaissances profondes des anciens visionnaires védiques. Mais ici, dans les Yoga sutras, nous entendons distinctement sa voix authentique. D’où le titre, Le Yoga authentique.

Je termine cette introduction avec un sentiment de gratitude envers quelques amis qui m’ont aidé de nombreuses manières. Ils préfèrent rester anonymes dans l’intérêt du yoga. Le fait même de donner un nom à l’auteur de ce livre n’a pas de signification particulière. Il s’agit d’une concession à la conformité sociale, pour laquelle l’auteur demande à être pardonné.



















































































































































































































IntroductionCe livre propose une nouvelle recherche et une nouvelle approche de la
compréhension du yoga tel qu’il est exposé dans les Yoga sutras de Patanjali.
Il est nécessaire d’expliquer pourquoi il faut ajouter un livre de plus à la
vaste littérature disponible sur le sujet dans le monde entier, dans de
nombreuses langues. Tout d’abord, aucun commentateur, pas même Vyasa, ne donne de réponse
précise à la question fondamentale : qu’est-ce que le yoga ? Patanjali lui-même nous apporte la réponse dans le titre même de son
livre, Yoga Darsanam. Mais ce titre n’a fait l’objet d’aucun commentaire
pertinent de la part de quelque commentateur que ce soit. Darsanam ou darsana
signifie « regarder, voir, observer », mais aussi « connaître,
comprendre, percevoir », et peut également signifier « une enquête, un examen ». Même traditionnellement parlant, tout comme le Nyaya, le Vaisesika, le Sankhya
et le Vedanta sont des darsanas, chacun avec sa propre méthode
d’enquête et sa propre approche de la réalité, le Yoga est aussi un darsana,
avec sa propre approche de la réalité, basée sur sa méthode unique d’enquête
sur la nature et la structure du monde, et sur l’homme qui regarde et trouve
son être dans le monde. Les traditionalistes ont généralement refusé au yoga le statut de darsana.
Ils en sont venus à supposer que le yoga n’était qu’une question de pratique,
fondée sur la vision Sankhya de la réalité. Il a donc été de tradition de
maintenir que le yoga n’est pas un darsana à part entière. Le nom
traditionnel donné à cette conception erronée est Sankhya Yoga. En raison de
cette vision prestigieuse mais erronée, le yoga n’a pas reçu l’attention qu’il
mérite. Ce petit livre tente de remédier à ce défaut et de faire une nouvelle
étude du yoga en tant que darsana à part entière.  Le fait que le livre des Yoga sutras de Patanjali ne fasse référence à
aucun autre darsana, pas même au Sankhya, renforce l’idée que cette
approche du Yoga est la bonne. Hormis le fait qu’il utilise les mots purusa et
prakrti, termes également utilisés par le Sankhya Darsana, l’ensemble de
sa conception du monde et de la relation de l’homme à celui-ci est unique et
n’a rien à voir avec aucun autre darsana.
Même
les termes fondamentaux de Sankhya, purusa et prakrti, lorsqu’ils
sont utilisés dans les Yoga sutras, ont des significations qui ne sont pas
totalement identiques à celles qui leur sont données dans le Sankhya Darsana.
Et les trois gunas, mentionnés dans le Sankhya comme les attributs innés
de la Prakrti (Nature), Satva, Rajas et Tamas, se
voient attribuer trois noms différents dans le Yoga Darsana. Ici, ils sont appelés prakasa, kriya,
sthiti
.
Ces mots ont des
significations qui ne peuvent être assimilées à celles données à satva, rajas
et tamas dans le Sankhya Darsana.
 
Cependant, je
n’ai pas l’intention d’entrer dans une controverse avec les traditionalistes.
Ayant étudié le Yoga Darsana, il est clair pour moi que toutes les controverses
sont totalement futiles. Je ne me préoccupe que d’une seule chose : enquêter à
nouveau et comprendre le Yoga Darsana, indépendamment de toute comparaison avec
tout autre darsana ou discipline.
  2 Les Yoga sutras
sont un exposé des faits tels qu’ils sont vus dans leur authenticité
existentielle. Ils ne peuvent être vus ainsi qu’après une enquête indépendante
et radicale sur la nature et la structure de la situation existentielle. Cette
situation existentielle toujours présente se dévoile à nous par l’acte même de
la vision pure. Cet acte de voir n’est pas créé par l’homme ou le mental. Il
découle de la nature même de l’être humain. Lorsque nos yeux sont ouverts, nous
voyons tout ce qui se trouve dans notre champ de vision. Il est impossible de souhaiter
que cette vision disparaisse. Les souhaits ou toute autre forme d’idéation sont
sans rapport avec l’acte de voir. C’est plutôt l’homme en tant qu’entité
existentielle qui regarde ce qui est déjà là dans sa majesté et son immensité
existentielles. À une extrémité de cette situation existentielle se trouve «
celui qui voit » et à l’autre extrémité se trouve « ce qui est vu ».
L’interaction entre ces deux entités explose en une vision (darsana).
Cette vision est simplement la conscience sans choix de la totalité de ce qui
est, dans son authenticité existentielle. C’est une vision intacte et non
ternie par une quelconque activité mentale. Le caractère
unique des Yoga sutras réside dans le fait qu’ils considèrent l’acte primaire
de regarder le monde comme le fondement même du Yoga Darsana (la vision de la
réalité). Ainsi, l’acte de voir lui-même révèle la nature de la situation
existentielle comme étant la triade voyeur-vu-vision (drastadrsy adarsana). Chacune de ces
trois composantes de la réalité est distincte des deux autres. Mais cette
distinction découle d’une clarté de vision qui n’a rien à voir avec les
divisions de l’espace et du temps. Ces divisions apparaissent lorsque
l’idéation intervient et usurpe la place de la vision pure. Ces trois
composantes intégrales émergent pour ainsi dire du néant, à la suite de l’acte
même de voir : elles ne sont pas fabriquées par l’homme ou par l’esprit. L’acte de voir
est semblable au fait de respirer. Un homme respire continuellement, qu’il en
soit conscient ou non. La respiration est une activité existentielle. Dire « je
respire » est une idéation. De même, voir est une activité existentielle.
Mais dire « je vois » est idéationnel. En fait, ce qui permet à
l’homme de voir, d’enquêter, de comprendre, c’est le « voyant » au
sens existentiel du terme. D’autre part, le sens du « je suis » ou de
l’identité personnelle est un produit du passé, qui n’a aucun rapport avec le
présent vivant dans lequel la réalité demeure. La réalité « existe »
indépendamment de ce que l’homme pense, ressent ou fait. Mais sur le plan
idéologique, la notion du « je suis » usurpe la place du « voyant »
existentiel et devient ainsi la source de toutes sortes de confusion. Lorsque
l’on dit : « Je suis celui qui voit ou celui qui observe », on inclut
implicitement dans ce « je » son propre corps, ses sens et son
esprit. Or, tous ces éléments sont susceptibles d’être observés soit
directement, comme dans le cas du corps, soit dans le cadre de leur
fonctionnement, comme dans le cas des sens et du mental. Ils appartiennent donc
au domaine du « vu ». La notion du « Je suis » est donc
constituée de la fusion du « voyant » et du « vu » (II-6).
C’est un concept né de la confusion. Le fait est que l’énergie qui permet à
l’homme de voir (drk- sakti) et l’énergie qui constitue le « vu »
(darsana- sakti), y compris les images mentales et les objets matériels
ou les objets de la vie quotidienne ou les événements, sont deux énergies
distinctes qui sont constamment en interaction mutuelle. Elles ne doivent
jamais être confondues l’une avec l’autre et ne sont pas interchangeables. Si
elles l’étaient, la perception elle-même s’effondrerait complètement et tout
serait réduit à un chaos inintelligible. C’est pourquoi le Yoga donne pour « Je
suis » (asmitã) la définition suivante : « Supposer que
l’énergie qui permet de voir [drk- sakti) et l’énergie qui constitue le
vu [darsana- sakti] sont une seule et même chose, est une tension
appelée asmita, qui signifie « je suis « (II-6). » L’asmitã
est décrite comme une tension (klesa) car elle génère une contradiction
entre ce qui est, l’existentiel, et ce que l’on croit voir exister –
l’idéationnel. Cette tension naît de l’inattention et donc de l’inconscience (avidya)
de ce qui, d’instant en instant, est réellement. Cette inconscience (avidya)
est le terreau dans lequel prennent racine toutes les autres tensions (II-4).
Et ce n’est pas tout : elle fait basculer la vision que l’homme a de la réalité
(II-5). 

Le yoga est donc un état d’être
extraordinaire dans lequel le processus de choix du mental cesse de fonctionner
et où l’on reste dans un état de conscience sans choix de « ce qui est »
(I-2). Bien qu’extraordinaire, il reste à la portée de tout être humain. Il
n’est extraordinaire que par contraste avec l’état de condition ordinaire dans
lequel l’homme naît et grandit.

Cet état conditionné est maintenu par la pression des normes
prestigieuses de la conformité sociale, mais il peut être remis en question par
tout homme disposé à le faire dans le souci de découvrir la vérité qui
sous-tend son mode de vie conditionné et conformiste. Un tel défi exige que
l’on soit libre. L’homme sait qu’il a la liberté de choisir. Mais il pose
rarement la question fondamentale de savoir ce que signifie et implique cette
liberté, alors même que son identification aux résultats de ses choix le
conduit de manière répétée et inévitable à des tensions, des conflits et la détresse.
Mais quiconque se soucie d’affronter cette situation sera obligé de poser la
question suivante : qu’est-ce que la liberté après tout ? Se limite-t-elle à
choisir et à faire de l’homme une victime de la logique implacable et corrompue
de ses choix ? Ou bien y a-t-il quelque chose de plus implicite dans la nature
même de la liberté ? La liberté de choisir implique-t-elle aussi la liberté de
ne pas choisir ? Il doit nécessairement en être ainsi. Sinon, le mot liberté
perdrait tout son sens. C’est cette découverte capitale qui a inspiré la vision
de la réalité qu’est le Yoga Darsana.
La
liberté doit signifier la liberté de choisir ou de ne pas choisir. Ne pas
choisir, c’est aussi faire un choix, mais étant négatif, ce choix acquiert une
dimension tout à fait nouvelle. En effet, le choix de ne pas choisir met fin,
une fois pour toutes, à l’identification de l’homme avec le monde de l’idéation,
de l’illusion et de la croyance, générés par le choix. Il entraîne une
révolution radicale du mode de vie conditionné dans lequel l’homme est englué.
Il rejette résolument tout ce qui appartient au domaine de l’idéationnel et met
l’homme face à la situation existentielle. L’homme, ainsi mis face à la
situation existentielle, n’est plus qu’un point focal de la pure conscience.
C’est ce qu’on appelle communément le « je » – un simple nom, sans
aucun attribut, pas même celui de « je suis ». C’est comme un point qui
aurait une position mais pas de magnitude (swarupa-sunyamiva, III-3).
C’est un point sur lequel toutes les choses convergent et à partir duquel tout
acquiert une signification rayonnante. C’est ce que signifie le Yoga tel qu’il
est décrit en I-2. Le yoga est citta-vrtti-nirodha – un état d’être dans
lequel le processus de sélection des idées est interrompu. Comme l’expliquent
les notes et commentaires qui suivent cette introduction, il s’agit d’un état
qui naît de l’exercice par l’homme de sa liberté innée d’aller vers le
non-choix. Ce non-choix n’implique aucun contrôle égocentrique, aucune
suppression ou répression des pensées, ni aucun effort d’aucune sorte. Il s’agit
simplement d’exercer la liberté dans la bonne direction et de laisser la
situation existentielle révéler ce qui peut l’être, sous le regard ardent de la
perception pure.Il
est regrettable que tous les commentateurs, à l’instar de Vyasa, n’aient pas
compris la signification des mots citta- vrtti-nirodha, qui sont
effectivement en accord avec le thème central du Yoga Darsana, à savoir le fait
de se libérer (kaivalya) de toutes les servitudes de la conscience
conditionnée. Par conséquent, choisir de ne pas choisir, c’est faire le premier
et dernier pas vers kaivalya (liberté totale).Les
quatre premiers Sutras énoncent en quelques mots l’essence même du Yoga
Darsana. Ils nous disent, en termes d’impératif existentiel, que l’homme doit
opter pour le non-choix et exercer sa liberté innée dans cette direction
négative (citta-vrtti-nirodha) s’il veut s’établir dans son identité
existentielle. La seule autre option qui s’offre à lui est de se retrouver
empêtré dans l’identification aux choix (vrtti-sarupya, I-4) et de subir
les conséquences des inévitables tensions, conflits et souffrances qui en
découlent. La situation existentielle n’offre aucune autre alternative.
 3Une autre contribution d’une grande profondeur et d’une importance
décisive que le Yoga Darsana apporte à la compréhension de la situation
existentielle est la suivante : il établit une distinction claire et nette
entre, d’une part, une vue ou une vision née de l’inconscience de ce qui est (avidya)
et, d’autre part, une vision née d’une conscience attentive de l’inévitabilité
de la souffrance résultant d’un attachement stupide et obstiné au concept du
« Moi » et aux motivations que cela engendre. La première est appelée
« avidya-khyati « (II-5) et la seconde est appelée « viveka-khyati »
(II-15 à 26). Le mot khyati signifie darsana ou vision.
Il y a donc deux types de vision sur lesquels
le Yoga Darsana attire notre attention. L’une est un héritage qui persiste dans
l’esprit et la conscience de l’homme. 
Elle est donnée à l’homme par le flux de la nature (Prakrtyapura,
IV-2), et est inconsciemment renforcée par son héritage culturel et social. À la
base, se trouve l’identification avec les formes que prennent les choix.Sous l’influence de cet héritage, l’homme
considère comme allant de soi qu’en tant que produit de la nature, il est
totalement séparé du monde objectif et phénologique. Il croit donc que tout ce
qu’il peut faire pour comprendre ce monde et établir une relation significative
avec lui, c’est d’y puiser et de soumettre ce qu’il a choisi à un examen
rationnel par la méthode des essais et des erreurs.L’homme suppose donc qu’il n’a pas d’autre
choix que de choisir et d’entraîner sa liberté innée à choisir de plus en plus
rationnellement. Mais on peut alors poser la question suivante : qu’est-ce que
la raison ? La raison ne peut être que ce qui rejette toutes les hypothèses
gratuites. Et comme à la racine de toutes les suppositions se trouve la notion
de « je suis » – un produit de la conscience conditionnée, la raison étant
devenue la proie de la supposition que le « moi » ou l’ego est à la
fois « celui qui voit » et « celui qui choisit », elle doit
toujours rester suspecte. C’est pourquoi le libre examen, et non l’effort de la
raison déjà pervertie par des présupposés, est la seule approche possible de la
compréhension de la réalité interne et externe. Ce libre examen est à la base
de l’approche yogique de la réalité. Être dans un état de libre examen, c’est
être dans un état de conscience sans choix, ce qui est le début du yoga ou de
la méditationÀ la lumière de ce qui précède, il ne devrait
pas être très difficile de voir que c’est avidya-khyati qui domine de
façon écrasante la scène de la vie humaine dans le monde entier. Il en a été
ainsi tout au long de l’histoire, à l’exception de quelques moments de lucidité
ici et là. Le fait que l’homme soit toujours victime de tensions, de conflits
et de chaos, qui se répètent et l’entraînent inévitablement dans une détresse
sans issue, est une preuve suffisante qu’il n’a pas encore trouvé de fondement
raisonnable et sûr à son approche de la situation existentielle.Une compréhension claire des Yoga sutras
offre un moyen de sortir de cette situation difficile. Les notes et
commentaires sur les sutras de la deuxième partie du texte traitent de ce
problème. Les points à noter à cet égard peuvent être résumés comme suit :

1.    
Tant que l’homme n’est pas
conscient de ses tensions internes et qu’il ne trouve pas d’issue à leurs
tentacules, il n’y a aucune possibilité pour lui de se confronter à la
situation existentielle dans son ensemble. Et tant qu’on laisse les tensions
suivre leur cours, tout discours sur le progrès et le bien-être de l’homme ne
peut que rester totalement dénué de sens et conduit inévitablement au désespoir
et à la souffrance. Toutes les tentatives idéologiques et technologiques pour
échapper aux tensions et à la détresse ne peuvent qu’encore aggraver cette
détresse à cause des faux espoirs qu’elles génèrent.
2.    
Considérer cette situation comme
une distorsion de la situation existentielle créée par le mental des humains et
s’y confronter sans chercher à y échapper par un quelconque palliatif, c’est
établir le premier contact vital avec la réalité. C’est précisément ce contact
avec la réalité qui révèle la bonne façon de comprendre que la nature et la
structure réelles de la conscience conditionnée d’une personne sont le produit
des tensions et des moyens idéologiques permettant d’y échapper.

 

3.    
La meilleure façon de se libérer
de toutes les tensions est la voie du pratiprasava. Cela signifie un
voyage d’exploration à rebours, qui consiste à remonter des tensions
périphériques de surface jusqu’à leurs racines mêmes. C’est la voie de la
méditation. Pendant la méditation, notre mental reste en suspens, et seule la
perception pure est autorisée à agir sur toutes les impulsions qui émergent de notre
conscience conditionnée. Le pouvoir d’investigation et de pénétration d’une
telle perception est tel que les impulsions, lorsqu’elles se manifestent, sont
vues sous leur vrai jour, avec toutes leurs motivations égocentriques. Étant
vues pour ce qu’elles sont réellement, et parce que les méfaits dont elles sont
capables sont bien compris, elles disparaissent une fois pour toutes, laissant
le mental propre et clair comme du cristal.
 4.    
C’est à partir d’un mental ainsi
purifié que naît une intelligence (viveka) critique pénétrante et douée
d’un discernement aigu. Cette intelligence, qui a ses racines dans la situation
existentielle, est capable de reconnaître et de faire la différence entre
l’éternel et l’éphémère, le pur et l’impur, et entre le bonheur et la
tristesse. Grâce à cette perception claire qui ne laisse jamais place à la
confusion, cette intelligence (viveka) qui vient de naître détruit une
fois pour toutes la vision née de l’avidya (II-5). La clarté de la
vision illumine désormais la scène existentielle en permanence, sans retomber
dans l’avidya-khyati.
 5.    
C’est la clarté de cette vision
née de l’intelligence (viveka) qui permet de voir ce que signifient
réellement les mots « drasta » (celui qui voit) et « drsya »
(ce qui est vu, ou le monde objectif). Celui qui voit n’est que pure énergie de
la vision. Mais à cause de son identification avec la notion de « je suis »,
l’homme a tendance à tout voir à travers le voile de ses expériences passées
(11-20). Le passé mort éclipse ainsi le présent vivant si complètement que la
distinction même entre le « voyant » et le « vu » devient
totalement confuse et que la vision de l’homme est complètement déformée. Il
oublie alors que le « voyant » ne peut jamais être le « vu »,
et que le « vu » ne peut jamais être le « voyant ». Confondre
les deux de cette manière, c’est perdre la clarté de la vision et s’exposer à
de perpétuels problèmes et difficultés.
 6.    
La nouvelle intelligence (viveka)
révèle également ce que signifie exactement le mot « vu » :
a)   
L’énergie dont le « vu »
est constitué comporte trois attributs : l’inertie, le mouvement et
l’illumination. Cette énergie est totalement distincte de l’énergie qui rend
possible la vision pure dont « celui qui voit » est constitué ;
b)   
Ce qui est vu est un composé de
matière organique et inorganique ; et
c)    
La raison d’être de l’existence
de « ce qui est vu » est d’offrir des expériences (bhoga) à «
celui qui voit » et d’aider ainsi l’homme (celui qui fait l’expérience) à
se libérer de toute servitude (apavarga) (II-18).
 7.    
Ainsi, selon le yoga, le « voyant »
d’un côté et le « vu » de l’autre sont de même envergure que
l’univers entier, et les interactions existentielles entre ces deux-là
englobent tout le mystère de la vie et du cosmos. La nature de cette
interaction est mal comprise par l’homme tant qu’il continue à regarder le
monde et lui-même à travers l’écran de ses expériences passées. Et lorsqu’ il
voit et comprend le mal que cela fait à la vie, l’intelligence entre en scène
et clarifie la vision. Cette vision née de viveka (l’intelligence) est
appelée viveka-khyati.

 

8.    
Viveka-khyati est donc ce qui ouvre la possibilité d’un
nouveau mode de vie appelé « l’octuple mode de vie » (Astanga Yoga,
II-29).
 9.    
Cet « octuple chemin de vie »
dévoile le mystère qui sous-tend l’interaction entre le « voyant » et
le « vu ». On voit alors que la connaissance ou la compréhension qui
naît de viveka-khyati n’est pas accumulative mais créative, qu’elle est
capable de tout comprendre de la bonne manière et qu’elle est dépourvue de
toute séquence temporelle (III-54).
 10. Il est pertinent de noter à cet égard que le
Yoga Darsana donne un sens particulier au mot « intelligence » (viveka).
Cela n’a rien à voir avec l’intelligence vue sous l’angle de son acception
courante et approximative dans la vie quotidienne. Le mot intelligence, tel
qu’il est couramment utilisé, ne signifie rien d’autre qu’une habileté
égocentrique ou une extravagance utopique.
 11. Une fois de plus, il faut noter également que le Yoga Darsana
rejette toutes les formes de soi-disant progrès ou d’enrichissement de l’esprit
et de la vie humaine qui ne sont pas ancrées dans la viveka- khyati.
Bien au contraire, tant que la viveka- khyati ne sera pas présente, rien
de ce que l’homme peut faire, même marcher sur la lune, ne le fera avancer d’un
pouce vers la découverte de son identité existentielle.
 12. Seule cette découverte lui permettra de transcender la tyrannie
des conditionnements naturels et sociaux. Seule cette transcendance, cette
libération, peut établir l’homme dans un mode de vie radicalement nouveau, dans
lequel il est toujours en mouvement vers une création sans cesse renouvelée et
une liberté totale. Seule cette approche fera qu’une ère de coopération
créative entre l’homme et l’homme et entre l’homme et la nature puisse voir le
jour.

 4Pour les besoins de cette introduction, un seul point
supplémentaire doit être ajouté. Ce point est pertinent pour la situation
humaine contemporaine, et sans lui, la contribution unique et immense du Yoga
Darsana à la compréhension humaine dans son ensemble resterait terriblement
inadéquate.Il s’agit d’un point qui traite de la nature précise de trois
choses interdépendantes : le mental, la vie et la réalité.La quatrième et dernière partie du texte, traite du mystère
entourant ce qui est censé être indiqué par ces trois mots. Ce qui suit est un
résumé de ce que les Sutras de la partie IV ont à dire à ce sujet, et constitue
l’essence même de ce qui a été exposé dans les trois parties précédentes.

1.    
Tout d’abord, le monde objectif est considéré comme un
produit du flux de la nature (Prakrtyapur, IV-2). Cela correspond à la
vision scientifique moderne de l’univers. L’apparition de la mutation des
espèces est également attribuée à ce même flux de la nature. Cela anticipe
également la vision scientifique moderne de l’évolution naturelle des espèces.
L’apparition de l’homme sur la scène mondiale est donc une question qui
appartient au mystère sous-jacent à la mutation des espèces.
2.    
Le Yoga Darsana va plus loin que la science moderne et
pose la question suivante : où devons-nous exactement chercher la source du
mystère qui sous-tend cet univers dans lequel l’homme trouve son existence ?
Si vous vous concentrez uniquement sur « ce qui est vu », le monde
matériel observable, vous ne tiendrez pas compte du « celui qui
voit » et entreprend la recherche. De même, si vous vous concentrez
uniquement sur « celui qui voit », l’homme, vous ignorez le monde
extérieur. Par conséquent, selon les sutras, le point de départ de la recherche
de la réalité doit être une enquête sur la nature de l’interaction
existentielle entre le « voyant » et le « vu ». C’est cette
interaction qui relie l’homme au monde. Et c’est cette interaction qui explose
en une vision de ce qui est, intérieurement et extérieurement.
3.    
Deuxièmement, selon les sutras, la vision de l’homme
de « ce qui est » est décisive pour une approche correcte du mystère
qu’est la réalité. Il en est ainsi parce que l’homme est le produit final de
l’énergie de mutation de la nature. Une fois provoquée, la mutation reste
irréversible. Les espèces autres qu’Homo sapiens restent dans leurs schémas
spécifiques de réponse aux défis jusqu’à ce qu’elles se dégradent et
s’éteignent. L’Homo sapiens est la seule espèce qui porte en elle l’énergie
d’être consciente d’elle-même dans sa relation dynamique avec le monde. C’est comme
si le flux entier de la nature ou de l’évolution cosmique prenait conscience de
lui-même en l’Homme.
Et c’est le don du langage qui permet à l’homme d’être
aussi conscient de lui-même. L’homme seul peut dire : « Je suis moi. Je ne
suis pas l’autre et je ne pourrai jamais être l’autre ». C’est cette
conscience de soi qui distingue l’homme du reste du monde animé et inanimé. Et
donc la source du mystère qui sous-tend la réalité doit nécessairement se
trouver dans le langage et dans la conscience de soi née du langage. Mais le
langage qui permet à l’homme d’être conscient de lui-même ne peut pas franchir
les frontières du « Je suis moi. Je ne suis pas l’autre, et je ne pourrai
jamais être l’autre ». L’utilisation du langage au-delà des frontières de
cette conscience de soi doit toujours rester déductive ou imaginative. En
d’autres termes, le langage doit toujours rester idéationnel et se distinguer
de la nature existentielle de la conscience de soi. C’est pourquoi la recherche
de la compréhension de la réalité doit être ramenée à une enquête sur les
racines qui permettent de découvrir la nature de la conscience de soi chez
l’homme. Et puisque les opérations conscientes de prise de décision, basées sur
le complexe cerveau-mental, se trouvent à la base de toute vision que l’homme
se forge et à laquelle il s’accroche à propos de lui-même et du monde,
l’enquête sur la réalité des choses doit en outre se concentrer sur la nature
et la structure de la psyché de l’homme.

L’homme, en tant que produit final de l’énergie de
mutation du flux de la nature, doit chercher et trouver la bonne façon de se
regarder et de regarder le monde, pour être fidèle à sa nature. Il doit
découvrir quand et comment sa vision de ce qui est, à l’intérieur et à
l’extérieur, acquiert la dimension de la réalité, et il doit aussi découvrir ce
qui interfère et déforme la perception correcte de la réalité. Si l’homme n’y
parvient pas, il devra suivre le chemin de nombreuses espèces disparues. Et
toute la motivation et le but du Yoga Darsana est d’aider l’homme à acquérir
une vision juste de la réalité et éviter ainsi l’extinction totale.
4.    
Nous avons déjà vu comment l’homme, s’identifiant à
ses choix idéationnels, se retrouve piégé dans les tensions, les conflits, le
chaos et la souffrance ; et comment cette vrtti-sarypya aboutit
perpétuellement à une vision du monde déformée et irréelle, appelée avidya-khyati.
Et nous avons également vu comment une prise de conscience totale des méfaits
de l’avidya-khyati sur la vie humaine se transforme en une approche
juste et une vision existentielle de la réalité, appelée viveka-khyati. La
dernière partie du texte va plus loin dans la logique de la viveka-khyati
et attire notre attention sur une distinction claire entre un esprit qui naît
des impressions laissées par les expériences accumulées du passé qui sont
activées par la mémoire, d’une part, et un esprit né de la méditation yogique,
qui est libre de la domination du passé ou du connu. La première est appelée pratyayaja
ou pravrttija citta (11-20 ; IV-3 à 5), et la seconde est appelée dhyanaja
citta
(IV-6), mental méditatif.
Les sutras soutiennent que toute recherche sur la
réalité de l’homme et de sa relation vivante avec le monde doit commencer par
une recherche des racines du mental humain, avec tous ses modes opératoires
très subtils et déroutants. Ce sont en effet ces opérations mentales qui
motivent tous les types d’efforts humains – séculiers, scientifiques,
artistiques, religieux et mystiques. Les sutras de la quatrième partie
décrivent en détail le fonctionnement du pratyayaja ou pravrttija
citta
(l’esprit conditionné) et le genre de situation difficile dans
laquelle il place l’homme ; et deuxièmement, comment dhyanaja citta
(l’esprit méditatif) opère et entraîne une véritable transformation
mutationnelle de l’esprit conditionné.
5.    
Ce qui suit est un résumé de ce que les sutras disent
de pratyayaja ou pravrttija citta (esprit conditionné) :
a)   
Le mental humain, né du flux de la nature (prakrtija
citta
), est une seule et même chose pour l’humanité dans son ensemble. Cet
esprit que les hommes ont en commun est le produit d’une transformation
mutationnelle provoquée par le flux de la nature. Mais cette qualité
mutationnelle du mental est déformée et l’unité de ce mental se fragmente en
esprits individuels. Cela se produit parce que les individus ont tendance à
exercer leur liberté innée de choisir, pour servir leurs objectifs
égocentriques mesquins, auxquels ils s’identifient. Ils restent ainsi
inconscients de la dynamique vitale de mutation inhérente à l’esprit humain. Ils
ne sont pas non plus conscients du fait que l’homme ne peut ni créer ni
maintenir le flux de la nature, et que tout ce qui lui est offert est de
profiter du flux existentiel de la nature pour se comprendre et comprendre sa
relation avec le monde. En raison de cette double méconnaissance de la
situation existentielle de l’homme, les êtres humains individuels s’enferment
dans des choix égocentriques et continuent ainsi à fragmenter indéfiniment l’esprit
conçu par la nature et commun à l’humanité dans son ensemble. Ces esprits
individuels fragmentés diffèrent les uns des autres en raison de leurs
différences dans leurs choix égocentriques. Tous ces esprits individuels
fragmentés sont les fruits de la conscience du « je suis » (IV-2 à
6).
Les actions (karma) de ces
esprits égocentriques fragmentés prennent trois formes :i Brillante –                                                                                                    
 ii Sombre –                                                                                                      iii
Un mélange des deux
Aucune d’entre elles ne découle
d’un contact vital avec la réalité ou la situation existentielle. Par
conséquent, ces actions confuses, égocentriques et idéationnelles produisent
des résultats correspondant à leurs propres caractéristiques. Elles sont fondées
sur les impressions laissées par les expériences passées (samskaras), et
sont activées par la mémoire (smrti). Ces impressions et la mémoire se
fondent en un complexe, et deviennent indiscernables. Dans ce complexe, les
lieux et les moments réels des expériences individuelles passées se fondent
également et deviennent indissociables. Ainsi, ce qui a disparu (le passé, l’atita)
et ce qui est encore à venir (le futur, l’anagata) coexistent tous deux
dans ces esprits conditionnés.Lorsqu’un esprit ainsi
conditionné rencontre le présent vivant, il réagit selon les termes du passé
qui projetait des attentes à venir. C’est ainsi que naît la matrice temporelle,
constituée du temps considéré comme une séquence sans fin de passé-présent-futur.
Cette temporalité créée par le mental est projetée sur le monde extérieur,
comme si elle appartenait au monde extérieur lui-même. L’esprit conditionné
voit donc le monde comme un ordre temporel, ayant la causalité comme force
motrice.La causalité présuppose une
succession d’instants, les premiers étant considérés comme les causes des
suivants, et ce à l’infini. En réalité, disent les sutras, temps et causalité sont
tout simplement ce qu’un mental conditionné projette sur le monde extérieur. N’étant
pas conscient de ce fait, l’homme se retrouve piégé dans un mode de vie ancré
dans la temporalité (composée d’une séquence sans fin de passé-présent-futur),
dans laquelle celui qui vit dans le présent, l’existentiel, devient
perpétuellement une victime dans chacune de ses rencontres avec la réalité. Ce
mode de vie est semblable à celui de l’âne du proverbe : il court en permanence
après la carotte qui reste toujours hors de sa portée (IV- 8 à 10 et 12). On
peut noter ici que le temps, tel que mesuré par l’horloge, n’a rien à voir avec
la temporalité et la causalité en tant que fixation mentale.
b)   
Que doit alors faire l’homme ? Le
sutra IV-11 répond à cette question. L’homme doit s’arrêter un moment,
s’interroger et découvrir ce qui se cache derrière son mode de vie idéationnel
et illusoire qui ne perdure que grâce à d’interminables espoirs. Celui qui fait
cette recherche découvre que quatre facteurs sont à la base de ce mode de vie conditionné.
Ce sont :i. les motivations,                                                                                             ii.
les résultats de ces motivations,                                                            
iii. les supports matériels produits par ces résultats,                            iv. et la
dépendance à l’égard de l’ensemble de ce processus qui se perpétue par de faux
espoirs.Une perception claire de chacun
de ces quatre facteurs fonctionnant comme une chaîne sans fin de réactions
idéationnelles donne un aperçu de tout le mystère de la temporalité. À la
racine de cette temporalité se trouvent les actions sans commencement (karma)
déclenchées par des désirs égocentriques intégrés (vasana). On les
qualifie de sans commencement parce que les racines de ces motivations et
actions égocentriques se cachent dans l’obscurité dense de l’origine même de
notre espèce, dont le moment précis et la cause ne pourront jamais que rester
une question de spéculation stérile (II-10).
c)    
Par conséquent, la seule façon de
sortir de l’impasse dans laquelle se trouve l’homme n’est pas de spéculer sur
les causes lointaines, mais de s’intéresser à « ce qui est » dans le
présent vivant. Cette attention, chargée de l’esprit de libre examen, révèle
que si l’homme a la liberté de choisir, il lui est possible d’exercer sa
liberté en ne tenant aucun compte des quatre facteurs qui sous-tendent son mental
conditionné et son mode de vie conditionné. Et lorsque, par cette méthode de
conscience attentive, on se trouve installé dans la manière négative de vivre
et d’explorer, on réussit à annuler la domination de ce complexe d’expériences
passées qui ont laissé des impressions, ainsi que du souvenir que l’on en garde.Cette façon négative de
s’informer et de vivre vide l’esprit de tout son contenu. C’est la voie de la
méditation (Dhyana). Elle entraîne la mort du mental conditionné et la
naissance d’un nouveau mental, appelé dhyanaja citta (IV-6). Les actions
qui émanent de ce mental nouvellement créé ne sont ni brillantes, ni sombres,
ni mixtes (IV-7). Ce sont des réponses existentielles à une situation en
constante évolution, à la différence des réactions idéationnelles déclenchées
par le souvenir d’expériences passées.
d)   
Ce mental nouvellement né est
libre de toute temporalité. Les voies adoptées par un mental pris dans la
temporalité sont totalement différentes de celles du mental qui est né de la
méditation – un état d’être non temporel. Ce mental qui médite ne se déplace
dans aucune direction, ni dans le passé ni dans le futur. Il ne fait que
refléter dans sa pureté la réalité de la situation existentielle. La réalité
est ce qui reste une seule et même chose au fil de tous les changements. Ce
nouveau mental est coloré par cette réalité. C’est la passion existentielle du
mental qui réagit à ce qui est réel. La réalité devient ainsi connue, ou reste
inconnue, en fonction de cette passion existentielle (IV-14 à 17).
 e)   
 Ce nouveau mental, clair, calme et immobile,
reflète le « voyant » d’un côté et le « vu » de l’autre. Il
est comme le sein d’une vierge   capable
d’une conception immaculée. Cette conception résulte de l’interaction
existentielle entre « ce qui voit » et « ce qui est vu ». Sa
nature n’est pas de l’ordre de l’action-réaction mécanique. Il est de nature
créative. On l’appelle le mouvement de pratiprasava – une
contre-créativité qui se distingue du caractère procréatif aveugle du flux de
la nature. C’est l’accomplissement total, la raison d’être de
l’existence même de l’homme. Ce n’est ni la perfection ni une finalité
statique. C’est la fin du sens idéationnel du « je suis », d’une
part, et le début de l’établissement de l’homme dans son identité
existentielle, d’autre part.
Désormais, l’homme,
point focal de la conscience de la vision pure, se déplace en toute liberté et
en harmonie avec le mouvement subtil et invisible de l’Être cosmique. Dans ce
mouvement existentiel, les trois gunas, les trois énergies qui
constituent « ce qui est vu », offrent leurs services à l’énergie
créatrice de « celui qui voit » pour une création toujours nouvelle.
Cette énergie créatrice est appelée citi-sakti – un mot avec lequel le
Yoga Darsana s’achève (IV-17 à 34).
La vie est ce qui est doté de cette citi-sakti
ou énergie créatrice. La        conscience
de la vision pure, c’est-à-dire l’homme, opérant par le biais d’un mental
transformé né de la méditation, rencontre les énergies triples du monde du « vu »,
le monde objectif, et explose en une création toujours nouvelle. La réalité est
cette Créativité Rayonnante.

5Le yoga est une discipline de base, un
préalable essentiel pour toute expérience religieuse, spirituelle ou mystique
de la Vérité, de Dieu ou de la Réalité. La religion sans esprit religieux est
comme un corps sans vie ni âme. Un esprit religieux est un esprit qui a vu et
compris la nature et la structure de la conscience conditionnée avec toutes ses
ramifications, et qui, par l’acte même de comprendre, s’est déchargé de tous
ses résidus. C’est un mental mis face à la situation existentielle, par le
choix de l’homme pour une nouvelle façon de vivre, laquelle trouve sa
signification dans la discipline du yoga. La vérité, Dieu et la réalité doivent
rester de simples mots dépourvus de toute substance ou signification en
l’absence du yoga et de la clarté de vision qu’il génère. La réalité n’est pas
seulement « ce qui est ». C’est une action créatrice qui transcende « ce
qui est ». L’homme, sans cette transcendance, reste un simple animal
dépourvu de toute conscience du « Cela » qui anime tous les êtres.
Toute analyse à l’aide de n’importe quel instrument, idéationnel ou
technologique, ne jettera jamais de lumière sur celui qui analyse, sur l’homme.
En dernière analyse, c’est l’homme qui est la mesure de toutes choses. Et c’est
l’homme avec son mental qui est le sujet du Yoga Darsana de Patanjali.
Il est risqué d’écrire quoi que ce soit sur le Yoga Darsana. C’est
doublement risqué en raison de la manière d’exposer le sutra, telle qu’elle est
proposée par ce grand auteur. Un sutra, disent les sages de l’Antiquité, est ce
mode de communication dans lequel une vérité de portée universelle est
condensée dans le plus petit nombre de mots possible, avec une clarté pure
comme le cristal, et que les ravages du temps ne viendront pas ternir.

C’est peut-être la raison pour
laquelle Patanjali n’a jamais pensé à ajouter un commentaire ou une note
explicative aux Yoga sutras. Les sutras sont donc destinés à être médités
plutôt que commentés. Ce petit livre est le résultat d’années de méditation,
avec les sutras comme points de départ. Son principal objectif est d’attirer
l’attention sur le thème central de la discipline du yoga, à savoir la
perception de la vérité qui sous-tend l’être humain et sa façon de vivre. Si le
livre transmet ce qu’il était censé faire, il peut alors être mis de côté et
les lecteurs peuvent être laissés à leur propre méditation pour découvrir les
merveilles cachées du yoga, ce qui ne saurait avoir de fin. Le yoga authentique
est une discipline auto-correctrice et éternellement créative, aux
potentialités infinies.
Cette introduction est suivie d’une nouvelle
traduction des sutras, accompagnée de brèves notes explicatives et de
commentaires. C’est Patanjali lui-même qui a divisé le texte en quatre parties.
La partie I et la partie IV sont toutes deux exhaustives. Ceux qui ont saisi
l’essence du yoga par une approche méditative de l’une ou l’autre de ces
parties peuvent facilement anticiper ce qui est exposé dans les parties II et
III. Celles-ci sont destinées à aider ceux qui, bien qu’ayant compris le
contenu de la première partie, ne cessent de retomber dans les modes de pensée
et de vie conditionnés.Pour faciliter la compréhension, les sutras
de chaque partie sont subdivisés en petits groupes, chaque groupe élucidant un
point, comme s’il s’agissait d’un jalon sur le long et ardu chemin du yoga.Encore un mot sur le titre de ce livre. Le
mot « authentique » dans le titre peut sembler plutôt provocateur,
mais il n’est pas du tout utilisé dans cette intention. Il est utilisé pour
indiquer l’originalité stupéfiante de l’approche de la Réalité par Patanjali,
laquelle porte en elle le parfum de l’authenticité existentielle. Les racines
du yoga sont cachées dans les connaissances profondes des anciens visionnaires
védiques. Mais ici, dans les Yoga sutras, nous entendons distinctement sa voix
authentique. D’où le titre, Le Yoga authentique.Je termine cette introduction avec un
sentiment de gratitude envers quelques amis qui m’ont aidé de nombreuses
manières. Ils préfèrent rester anonymes dans l’intérêt du yoga. Le fait même de
donner un nom à l’auteur de ce livre n’a pas de signification particulière. Il
s’agit d’une concession à la conformité sociale, pour laquelle l’auteur demande
à être pardonné.

P. Y. DESHPANDE     

La connexion au Soi

La prière est depuis toujours la réaction naturelle de l’être humain confronté aux situations difficiles de la vie, comme la pauvreté, les épreuves, la maladie, la mort ou les catastrophes. Nous prions traditionnellement une puissance supérieure ou Dieu, pour demander ce dont nous avons besoin et ce que nous désirons.

La prière cultive une attitude d’humilité et d’acceptation et instaure une relation juste avec la Source. Elle peut nous emporter au-delà des mots, jusqu’au plus profond du sacré. Il est naturel d’exposer nos peines dans la prière, mais partageons aussi nos joies. Rester relié à Dieu en permanence dans un état d’humilité et d’abandon, c’est entrer en état de prière. Cet état se transforme en une méditation profonde, dans laquelle nous transcendons la relation pour aller vers une proximité infinie, et même vers l’unité. La prière est l’expression intérieure d’une immense gratitude.

Dans la prière, le mot « Maître » fait référence à Dieu – la Divinité dans le cœur de chacun.

La prière du Sahaj Marg/Heartfulness mérite d’être examinée en profondeur. Elle est extrêmement nuancée et comprend de multiples dimensions. Elle est composée de trois énoncés. Elle ne contient aucune demande. Il serait bon que tous consacrent du temps à essayer de comprendre l’importance et le sens véritable de la prière, en prenant chaque ligne et en réfléchissant à chaque mot. Des dimensions nouvelles s’ouvriront ainsi.

Nous offrons cette prière le soir pendant dix à quinze minutes pour nous relier à la Source, juste avant de nous endormir.

Nous l’offrons également le matin, avant la méditation.

Asseyez-vous confortablement, fermez doucement les yeux et détendez-vous. Répétez lentement et en silence les paroles de la prière ci-dessous. Méditez pendant dix à quinze minutes sur leur véritable signification et sentez les mots résonner dans votre cœur, sans tenter de les analyser. Laissez leur sens surgir de l’intérieur. Essayez de vous perdre dans cette prière. Allez au-delà des mots et laissez-vous gagner par ce que vous ressentez.

Ô Maître !

Tu es le vrai but de la vie humaine.

Nous ne sommes encore qu’esclaves de souhaits qui font obstacle à notre évolution.

Tu es le seul Dieu et le seul pouvoir qui puisse nous élever jusque-là.

Répétez cette prière intérieurement une deuxième fois et approfondissez encore votre ressenti. Laissez-vous absorber dans cette sensation au-delà des mots. Immergez-vous dans cet état de prière méditative au moment de vous endormir.

Le matin, reconnectez-vous à la Source en offrant à nouveau cette prière silencieuse avant de commencer la méditation Heartfulness.

Kamlesh D. Patel (Daaji)

Né le 28 septembre 1956 dans le Gujarat, en Inde, Daaji a manifesté très tôt un intérêt pour la méditation et la spiritualité. Il a commencé à pratiquer la méditation Sahaj Marg à l’âge de dix-neuf ans, pendant ses études de pharmacie. Peu après, il a rencontré son guru, Babuji. Après avoir obtenu son diplôme avec mention au L.M. College of Pharmacy d’Ahmedabad, Daaji s’est marié et installé à New York où il a développé une entreprise pharmaceutique prospère, tout en élevant ses deux fils avec son épouse. Dans le même temps, Daaji a continué de se consacrer pleinement à la spiritualité auprès de son Maître Chariji, successeur de Babuji. Au fil des ans, Daaji a joué un rôle de plus en plus actif au sein de la Mission, tant sur le plan organisationnel, qu’en diffusant le message du Sahaj Marg et en enseignant sa méthode. En 2011, il a été désigné par Chariji comme son successeur spirituel.

En tant que fondateur du mouvement Heartfulness, Daaji remplit désormais les nombreuses fonctions d’un guru des temps modernes, voyageant beaucoup et apportant son soutien aux chercheurs du monde entier. Il est fermement convaincu qu’il faut nourrir la jeunesse d’aujourd’hui avec des outils pratiques d’autogestion et des valeurs universelles. Sous sa direction, les étudiants et enseignants de plus de 2500 écoles, universités et collèges bénéficient d’un vaste choix de programmes de développement personnel fondés sur des valeurs universelles.

Daaji consacre une grande partie de son temps et de son énergie à ses recherches personnelles dans le domaine de la spiritualité et de la conscience, et partage régulièrement ses découvertes lors de conférences publiques, sur son site web et différents médias sociaux. Ses articles paraissent dans différentes publications, comme le Huffington Post, le Chicago Tribune, le Times of India et le Business Standard. Dil Ki Awaaz, série en douze épisodes, diffusée sur Radio City Smaran, a reçu un très bon accueil du public en Inde et au-delà.

Daaji prône le rapprochement entre les traditions anciennes et la science moderne. Considérant qu’il convient d’aborder la spiritualité avec une approche scientifique, il a réuni une équipe de cent scientifiques pour étudier les effets physiologiques et génétiques de la méditation et de la transmission yogique. Comme il le dit volontiers, « Vous êtes l’expérimentateur, l’expérience et aussi son résultat. »

Daaji souhaite que la méditation Heartfulness puisse être connue de tous les foyers du monde. Sous son impulsion, des formations gratuites à la méditation sont désormais proposées dans des milliers de Heartspots et centres de retraite dans plus de 160 pays. Les formateurs Heartfulness sont disponibles bénévolement dans le monde entier pour des méditations individuelles et de groupe, en présence ou à distance, ou encore via l’application Heartfulness pour iPhone et Android (en anglais pour l’instant).

Lien de téléchargement

Pour en savoir plus sur Daaji, visitez le site www.daaji.fr

“À mesure que nous nous élevons, notre besoin d’être reconnu diminue de plus en plus jusqu’à ce que nous devenions un avec l’infini, nous dissolvant dans l’infini et devenant l’infini. Ainsi, il y a dans le monde matériel l’épanouissement de l’égo, tandis que dans le monde spirituel il y a la totale dissolution de l’ego personnel. Ceci est la beauté du chemin spirituel.”

Daaji

Parthasarathi Rajagopalachari (Chariji)

Shri Parthasarathi Rajagopalachari, appelé affectueusement Chariji, est né le 24 juillet 1927 à Vayalur (près de Chennai), dans le sud de l’Inde. Aîné de quatre enfants, il perdit sa mère à l’âge de cinq ans, peu après la naissance de sa petite sœur qui décéda à son tour peu de temps après. Son père, Shri C.A. Rajagopalachari était cadre dans les chemins de fer, il éleva Parthasarathi et ses deux jeunes frères avec beaucoup de soin. La perte de sa mère allait cependant laisser en Parthasarathi un vide profond qui l’accompagna jusqu’à l’âge adulte.

Après une licence en sciences à l’Université hindoue de Bénarès, il occupa un premier emploi dans le domaine de l’ingénierie chimique, puis passa deux ans en Yougoslavie afin d’étudier les techniques de fabrication des plastiques.

Il épousa Sulochana en 1955 et rejoignit la même année le groupe T. T. Krishnamachari, accédant rapidement au poste de directeur exécutif d’une des sociétés du groupe. Son travail l’amena à voyager beaucoup en Inde et à l’étranger, voyages internationaux qui se poursuivirent toute sa vie, tant pour raisons professionnelles que dans son rôle de guide du Sahaj Marg.

Les aspirations spirituelles de Chariji s’éveillèrent à l’âge de dix-huit ans après qu’il eut assisté à une conférence sur la Bhagavad Gita. Il commença alors à étudier en profondeur les textes religieux et spirituels de différentes traditions, notamment le christianisme. Sept ans plus tard, en 1964, Chariji rencontra Babuji et commença la pratique du Sahaj Marg. Dès sa première rencontre avec Babuji, comme il l’a écrit dans son livre, Mon Maître, « J’ai su immédiatement et intuitivement que j’avais trouvé la personne qui, seule, pouvait être mon Maître et me conduire à mon but. »

Tout en continuant à assumer ses responsabilités familiales et professionnelles, Chariji est resté assidu dans sa pratique spirituelle et fervent dans sa dévotion envers Babuji. Il l’a assisté avec compétence dans son travail spirituel et a apporté une contribution substantielle à l’essor de la Mission.

La venue en Inde d’Européens attirés par les enseignements de Babuji a conduit celui-ci à effectuer, dès 1972, une série de voyages en Europe et en Amérique du Nord, accompagné de Chariji. Une relation de complicité et d’amour profond s’est développée entre eux à cette occasion.

Ces voyages ont semé les graines du développement du Sahaj Marg dans le monde.

Au décès de son maître en 1983, Chariji s’est consacré à la poursuite du travail de Babuji et à l’avancement de sa vision de l’humanité. Sous sa conduite, l’organisation mise en place par Babuji a prospéré en Inde et dans plus de cent autres pays. Au moment du décès de Chariji, la Mission, qui comptait 5000 membres à l’époque de Babuji, en totalisait 500 000.

Brillant orateur, Chariji était aussi doté d’une capacité de travail apparemment illimitée. Il était connu pour sa grande disponibilité. Des dizaines de milliers de personnes peuvent d’ailleurs témoigner de rencontres avec lui, qui ont transformé leur vie.

Il a écrit et publié plus d’une centaine de livres. Mon Maître, un hommage à son bien-aimé Babuji, a été traduit en 20 langues.

En raison d’une santé devenue fragile, Chariji a désigné, dès 2010, Kamlesh D. Patel comme vice-président de la Mission et son successeur. Ces nouvelles ont été annoncées publiquement, afin de leur assurer une large diffusion et de faciliter la prise de fonctions de Kamlesh. Dès lors, et jusqu’au décès de Chariji, le 20 décembre 2014, ils ne se sont quasiment jamais quittés.

“Tournez-vous vers l’intérieur. Toute la connaissance, tous les pouvoirs, tout est à l’intérieur. Votre destinée est à l’intérieur, votre avenir est à l’intérieur, et l’ultime est à l’intérieur”.

Ram Chandra de Shahjahanpur (Babuji)

Babuji naquit le 30 avril 1899 dans la ville de Shahjahanpur (Uttar Pradesh), dans le nord de l’Inde. Dès son plus jeune âge, il manifesta un désir de réalisation spirituelle qui éclipsait tout autre intérêt.

Il occupa pendant plus de trente ans le poste de greffier au tribunal de district de Shahjahanpur. Il se maria à l’âge de dix-neuf ans, et sa femme, Bhagwati, lui donna deux filles et quatre fils avant de décéder en 1949.

En juin 1922, à l’âge de vingt-deux ans, il rencontra Lalaji, qui reconnut en lui son successeur, tel qu’il lui était apparu en rêve des années auparavant.

Ils ne se rencontrèrent que rarement du vivant de Lalaji, qui devint pourtant le centre et le seul but de l’existence de Babuji.

Babuji considérait que l’évolution de la conscience est un droit de naissance et qu’elle devrait être offerte gratuitement aux chercheurs sincères du monde entier. Convaincu que le vrai guru est le serviteur ultime, il vécut sa vie au service de tous, sans distinction de caste, de croyance, de religion, de sexe ou de nationalité. Il enseignait que la vie matérielle et la vie spirituelle sont comme les deux ailes d’un oiseau et que la vie de famille est le meilleur environnement pour apprendre les vertus jumelles de l’amour et du sacrifice. Il simplifia et perfectionna le système du Raja Yoga en conséquence, afin que chacun puisse le pratiquer et en bénéficier.

Il conseillait à ses disciples de ne pas se laisser décourager par leurs défauts et leurs imperfections, mais d’abandonner leurs erreurs en prenant la résolution de ne plus les répéter. Il leur rappelait que c’est dans le présent que nous développons notre caractère et créons ainsi un avenir plus radieux.

Babuji, qui était la plus humble des personnes, avait une foi immense en son guru. Il était convaincu que les chercheurs de toutes cultures et de toutes nationalités adopteraient les pratiques simples et efficaces qu’il proposait. En 1972, il introduisit le Sahaj Marg en Europe et en Amérique du Nord, accompagné de son disciple dévoué et Secrétaire général de la Mission, Shri Parthasarathi Rajagopalachari. Babuji le choisit pour lui succéder en tant que troisième guru de la tradition Heartfulness.

“La fin de la religion est le début de la spiritualité. La fin de la spiritualité est le début de la Réalité et la fin de la Réalité est la véritable Béatitude. Quand cela aussi est parti, nous avons atteint notre destination”

Babuji

Ram Chandra de Fatehgarh (Lalaji)

Né dans une riche famille de propriétaires terriens, Lalaji développa très tôt, sous l’influence de sa mère qui était très pieuse, une grande aspiration pour Dieu. Elle décéda alors qu’il n’avait que sept ans, laissant en lui l’empreinte de sa foi intense. Éduqué dans un premier temps par un précepteur, il passa huit ans à l’école de la Mission à Farrukhabad où il découvrit le christianisme. Il fut impressionné par les paroles de Jésus-Christ : « Il est possible de faire passer un chameau par le chas d’une aiguille, mais impossible à un homme riche d’atteindre la demeure de Dieu. »

Suite à la spoliation des biens de la famille, Lalaji connut la pauvreté, mais accepta de bonne grâce ces revers de fortune, son but dans la vie étant de nature spirituelle.

Il s’associa à un saint soufi de l’Ordre des Naqshbandi, Moulvi Fazl Ahmed Khan Saheb, également appelé Huzur Maharaj. Celui-ci avait une approche très ouverte du soufisme, dont il dispensait les enseignements à tous, sans distinction de caste et de croyance. Il accueillait des personnes de toutes classes sociales et de toutes religions, hindous, musulmans et chrétiens. Il déclarait que les religions sont nombreuses, mais que leur essence est unique, c’est-à-dire acquérir la spiritualité.

Lalaji fit siens ces principes que l’on retrouve dans la philosophie du Sahaj Marg.

Lalaji considérait que la vie de famille était le cadre le plus favorable au développement personnel et qu’il était possible d’évoluer jusqu’au plus haut niveau spirituel tout en accomplissant ses obligations dans le monde. Poursuivant un tel but pour lui-même, Lalaji offrait de former les autres spirituellement, afin que tous, sans exception, puissent réaliser les aspirations les plus hautes, qui étaient réservées autrefois aux ermites et aux ascètes.

Sa réputation se répandit rapidement et beaucoup vinrent chercher réconfort et conseils spirituels auprès de lui. Grâce au travail qu’il a accompli, Heartfulness est aujourd’hui en mesure d’offrir une pratique simple et efficace à tous les chercheurs intéressés par la spiritualité.

“Le bonheur n’est nulle part à l’extérieur. On le trouve en fixant notre attention, dans une disposition calme et dans le retrait de notre mental. Ceux qui connaissent ce secret ne recherchent pas le bonheur à l’extérieur. Derrière la goutte s’étend la mer, la mer soutient la goutte. Faire que la goutte réalise l’océan, c’est toute la Réalité.”
Lalaji

La relaxation

 

La méthode de relaxation consiste en une série de suggestions qui nous aident à nous détendre. Il est conseillé de la pratiquer juste avant la méditation, et nous pouvons aussi y recourir chaque fois que nous en ressentons le besoin.

Éteignez votre portable et faites en sorte de ne pas être dérangé.

  • Asseyez-vous confortablement et fermez tranquillement les yeux
  • Pour commencer, remuez doucement les orteils et sentez qu’ils se détendent
  • Détendez vos chevilles et vos pieds. Sentez que l’énergie apaisante et bienfaisante de la Terre-Mère pénètre dans la plante de vos pieds, détend vos mollets et remonte jusqu’à vos genoux
  • Sentez l’énergie monter le long de vos jambes et les détendre jusqu’aux cuisses
  • Portez à présent votre attention sur vos hanches, votre bassin et votre taille et sentez qu’ils se détendent
  • L’énergie remonte maintenant le long de votre dos et le détend jusqu’en haut
  • Détendez ensuite votre poitrine… vos épaules… et sentez qu’elles fondent
  • Détendez vos bras jusqu’aux coudes… chaque muscle de vos avant-bras… puis vos mains… jusqu’au bout des doigts
  • Portez votre attention sur les muscles de votre cou et détendez-les. Remontez ensuite vers le visage. Détendez la mâchoire… la bouche… le nez… les yeux… les paupières… le lobe des oreilles… les muscles du visage… le front… jusqu’au sommet de la tête
  • Sentez à présent que tout votre corps est profondément détendu. Parcourez-le de la tête aux pieds et si vous ressentez encore une tension, une douleur ou une gêne dans une partie du corps, immergez-la un moment encore dans l’énergie apaisante de la Terre-Mère
  • Amenez doucement votre attention vers le cœur. Restez-y tranquillement… sentez-vous immergé dans l’amour et la lumière déjà présents dans votre cœur
  • Absorbez-vous lentement en vous-même.

Restez absorbé aussi longtemps que vous le souhaitez, jusqu’à ce que vous vous sentiez prêt à émerger.