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Les racines du Sahaj Marg/Heartfulness
Dr. Kannan Balasubramanian – ancien directeur du Madras Sanskrit College (affilié à l’université de Chennai) – 2007
L’Inde est la patrie de la spiritualité. Quantité de saints, de sages et de voyants sont apparus sur cette terre sacrée depuis les temps préhistoriques et jusqu’à la période védique et des grandes épopées. Ils se sont donnés corps et âme à leur quête de la perfection humaine, de la réalisation de Dieu ou réalisation du Soi. Après avoir atteint leur but, ils ont essayé de former de nombreux êtres humains à s’élever au-dessus des souffrances de ce monde. On en trouve des témoignages dans les Védas, la plus ancienne littérature de ce monde, dans des textes issus du yoga et d’autres écoles de la philosophie indienne. Le Sahaj Marg, système simplifié de Raja Yoga, repose sur la fondation des nobles enseignements des écritures, mais comme bien d’autres écoles, lui aussi a sa propre philosophie et une pratique unique en son genre.
Le mot Véda provient de la racine sanscrite Vid qui signifie ‘connaître’. Il se compose de passages en prose et de poésie qui sont antérieurs à toute autre littérature de ce monde. Les saints védiques sont appelés Rishis, ce qui signifie étymologiquement, ‘Ceux qui ont vu les mantras’* (1). Cela exigeait de pratiquer la pénitence, l’ascétisme, la méditation, le célibat, etc.
Les Védas contiennent la connaissance la plus élevée, la connaissance transcendante qui ne peut être obtenue par des moyens tels que la perception par les organes sensoriels, la déduction et le raisonnement. C’est pourquoi les Védas ont été acceptés comme source de connaissance faisant autorité par toutes les écoles traditionnelles de philosophie indienne. Celles qui dénient cette autorité aux Védas sont classées dans les écoles philosophiques hétérodoxes ou athées. Les Charvaka (matérialistes), le bouddhisme et le jaïnisme appartiennent à cette dernière catégorie.
Il convient également de souligner le fait que, même parmi les écoles orthodoxes, Samkhya et Mimansa (2) n’acceptent pas l’existence de Dieu, mais reconnaissent l’autorité des Védas et sont donc considérées comme théistes ou orthodoxes. L’école de philosophie du yoga fondée par Patanjali, dont la période a été fixée par les chercheurs modernes à environ 150 ans avant J.-C., accepte à la fois les Védas et l’existence de Dieu.
Le Sahaj Marg, il convient de le souligner, partage le point de vue de Patanjali. Il suit de près les principes énoncés dans les Védas et le système de yoga de Patanjali.
Le yoga est généralement classé en deux branches principales : le Raja Yoga et le Hatha Yoga, bien que de nombreuses autres branches du yoga soient apparues par la suite. Le Hatha Yoga traite principalement des pratiques qui aident à maintenir le corps physique en bonne santé au moyen d’exercices comme les postures (asana), les techniques respiratoires (pranayama) etc. Le Raja Yoga, quant à lui, s’occupe principalement de l’esprit. Il s’efforce d’empêcher les tendances de l’esprit à vagabonder et de l’amener à un état de calme parfait et d’équilibre. Le yoga de Patanjali relève de cette catégorie. Le Sahaj Marg suit le même principe. La pratique de la méditation du Sahaj Marg régule l’esprit et renforce la volonté.
Les principes et la pratique, tels qu’ils sont recommandés par les Maîtres du Sahaj Marg, n’entrent pas en contradiction avec ceux que l’on trouve dans les Védas ou dans les anciens textes du yoga. Les quelques exemples suivants illustrent ce point.
La pratique :
Le Sahaj Marg insiste sur le fait qu’il faut pratiquer régulièrement. Patanjali est également de cet avis lorsqu’il dit (3), « La pratique doit être faite pendant une longue période, sans interruption et avec dévouement ; alors elle se met en place naturellement chez une personne. »
Selon le Sahaj Marg, la méditation signifie ‘penser à une chose de manière continue’. Patanjali souscrit à ce point de vue dans ses Yoga sutras (4). Il accorde de l’importance aux valeurs éthiques et morales qui doivent être suivies par tous sans exception. Il les appelle Yama et Niyama, chacune contenant cinq principes. Les ‘Dix Maximes’ du Sahaj Marg mettent également l’accent sur ces principes.
Le Sahaj Marg prescrit la ‘méditation sur la lumière divine dans le cœur’. Les Upanishads, qui constituent la dernière partie et la plus importante des Védas, vont dans le même sens. La Katha Upanishad (4.13) dit : « Le Soi, le seigneur du passé et du futur, est comme une lumière sans fumée ; il est en vérité le même aujourd’hui et demain. »
La Mundaka Upanishad (III.5.) dit : « Lorsque les impuretés diminuent, les ascètes ou ceux qui ont maîtrisé leur moi, le voient – pur, resplendissant à l’intérieur du corps. »
La Mahanarayana Upanishad (II.7) dit : « Nous méditons sur Lui, l’Illimité, l’immuable, le voyant, le but ultime de l’océan de l’existence, la source de toute félicité dans le cœur, qui est comme un bouton de lotus. »
La Svetasvatara Upanishad (4.17) dit : « La divinité qui a créé l’univers et qui pénètre tout demeure toujours dans le cœur des créatures. Ceux qui le réalisent deviennent immortels. »
Le Seigneur Krishna dit dans la Bhagavad Gita (18.61) : « Le Seigneur est assis dans le cœur de tous les êtres. »
Quantité d’autres passages des Védas recommandent la méditation sur la ‘lumière dans le cœur’, qui est suivie par les pratiquants du système de Raja Yoga du Sahaj Marg. Raja Yoga signifie « le roi des systèmes de yoga ». On dit que l’esprit est le roi de tous les organes des sens et comme cette pratique yogique concerne surtout l’esprit, on l’appelle Raja Yoga. Gorakshanatha, célèbre Maître du Yoga du IX-Xe siècle après J.-C. affirme la même chose (5). Cependant, les anciennes écoles de yoga prescrivent de nombreuses pratiques difficiles, qui sont impossibles à pratiquer de nos jours. De même, certaines pratiques, comme les techniques de respiration, bien que bénéfiques lorsqu’elles sont pratiquées correctement sous la guidance d’un expert du yoga, pourraient provoquer des maladies indésirables si elles étaient mal maîtrisées. Le texte le plus populaire sur le Hatha Yoga, le Hatha Yoga Pradipika de Svatmarama (XII-XVe siècles après J.-C.) met en garde les pratiquants à cet égard (6).
C’est pourquoi un système simplifié de Raja Yoga correspond au besoin de l’époque actuelle. La méthode connue sous le nom du Sahaj Marg est pratiquée à la Shri Ram Chandra Mission. C’est une méthode simple, subtile, sans risque et sûre qui amènera l’aspirant vers la perfection humaine dans le temps le plus court possible. Le plus grand avantage de cette voie est que le guru* ou le Maître ou le guide, quel que soit le nom qu’on lui donne, prend la responsabilité de transformer une personne en un être humain parfait, sans trop d’effort de la part du pratiquant. Cela est rendu possible grâce à la méthode unique utilisée par le Maître, qui est appelée pranahuti dans le Sahaj Marg. Pranahuti signifie ‘offrande de l’énergie de sa propre vie’. Le Maître, par son pouvoir de volonté, offre directement sa propre énergie de vie au cœur du disciple, et réveille l’Âme qui est à l’état dormant dans le cœur du chercheur. Celui-ci n’a plus qu’à recevoir cette énergie dans son cœur, ce qu’il peut ressentir une fois qu’il a tourné son attention vers l’intérieur. Pranahuti est défini comme « l’utilisation de l’énergie divine pour la transformation de l’homme ». Le Sahaj Marg n’empêche personne de faire l’expérience de cette énergie divine. Chacun – sans distinction de couleur, de caste, de croyance, de sexe, de religion, de nationalité, etc. – peut bénéficier des services du Maître, sans rien débourser en retour !
Maintenant, on peut naturellement se poser la question de savoir si cela est vrai ou simplement un effet de l’imagination. Est-ce que les textes primitifs du yoga se réfèrent à de tels phénomènes qui auraient été observés dans les temps anciens (7) ? La réponse est ‘oui’. Quantité de références existent dans les anciens textes où l’énergie yogique ou divine était transmise de l’instructeur au disciple, ce qui avait pour conséquence de transformer ce dernier. Nous allons en décrire quelques-unes ici.
Le Yoga Vasishtha, qui est attribué au saint légendaire Valmiki (auteur du Ramayana), fait référence au grand saint Vasishtha qui transforma immédiatement son disciple le seigneur Rama en utilisant cette méthode de transmission. On y trouve trois méthodes de transmission yogique, c’est-à-dire par le toucher, par la vue et par la parole (8). Le Sutasamhita, faisant partie du Skandpurana, qui date d’au moins mille cinq cents ans, rajoute à la liste ci-dessus la transmission par le pouvoir de la volonté (ou de la pensée) et il est dit que c’est la plus subtile et la plus élevée des méthodes de transmission. On peut signaler ici que le Sahaj Marg a choisi la même méthode.
Dans les anciens systèmes soufis du Moyen-Âge, cette technique de transmission à partir du cœur était appelé le Tavajjhoh. On peut aussi mentionner que l’ancien bouddhisme chinois fait référence à cette pratique. Le texte sur le shivaïsme du Cachemire, qui date du IXe -Xe siècles après J.-C, fait aussi référence à une telle méthode de transmission yogique que le Maître adoptait pour l’évolution spirituelle des disciples. Le Seigneur Krishna transmettait l’énergie divine à Arjuna sur le champ de bataille et il fit de lui un héros immortel, tel que c’est décrit dans la grande épopée du Mahabharata. À l’époque moderne, au XIXe siècle, le grand Maître du Bengale Swami Ramakrishna Paramahamsa, transforma son disciple Narendranath “Swami Vivekanenda”, par la méthode de transmission de l’énergie divine, en un yogi à la gloire immortelle. Cette méthode est tellement efficace qu’elle se transmet de génération en génération depuis des milliers d’années.
Au XIXe siècle, le grand saint Shri Ram Chandraji Maharaj, de Fatehgarh (U.P.) (1873-1931), affectueusement appelé Lalaji par ses disciples, permit à un grand nombre d’êtres humains d’avoir accès à cette méthode. Il est à juste titre reconnu comme le premier guru du système du Sahaj Marg et c’est en son nom que la Shri Ram Chandra Mission a été établie en 1945 par son plus cher disciple et successeur, qui portait le même nom (c’est à dire Shri Ram Chandraji).
Cette illustre personnalité naquit en 1899 à Shahjahanpur (U. P.), en Inde. Il fonda cette Mission à la mémoire de son Maître et voyagea dans toute l’Inde et à l’étranger pour offrir le service spirituel à tous les êtres humains, sans rien attendre en retour. Il fut tellement dévoué à son Maître, qu’il continua à servir chacun sans distinction, jusqu’à son dernier souffle, dans ce monde mortel qu’il quitta en 1983. Il était affectueusement appelé Babuji par ses disciples.
Le disciple le plus dévoué et successeur de Babuji, Shri Parthasarathi Rajagopalachari, affectueusement appelé Chariji, est né en 1927, près de Chennai, dans le sud de l’Inde. Il a surtout joué un rôle-clé dans la diffusion des nobles enseignements des premiers Maîtres dans plus de quatre-vingt pays, sur tous les continents (9).
Un des aspects du Sahaj Marg est qu’il ne demande pas de renoncer à la vie de famille alors que beaucoup d’écoles de philosophie indienne soutiennent que la vie de renonçant ou de mendiant est un élément indispensable à la quête spirituelle, comme c’est le cas dans l’hindouisme, le bouddhisme et le jaïnisme. En revanche, le Sahaj Marg affirme qu’on ne devrait négliger ni la vie matérielle, ni la vie spirituelle. En fait, il dit que « la vie matérielle et la vie spirituelle vont de pair, comme les deux ailes d’un oiseau qui brillent d’un même éclat ».
Pranahuti, courant unique offert par le maître à des millions d’aspirants, joue un rôle important dans l’évolution de l’homme en un être humain parfait. Il régule l’esprit qui a tendance à s’égarer et aide à la régulation mentale, donc à celle des sens et des activités, amenant ainsi la personne à un état parfait d‘équilibre et de modération. C’est l’une des définitions du mot yoga, donnée par le Seigneur dans la Bhagavad-Gita (II. 48).
On peut conclure du bref exposé ci-dessus que le Sahaj Marg est un système modifié de Raja Yoga, fermement établi sur les nobles principes énoncés dans les Écritures anciennes. On peut aussi remarquer que toute base ou fondation, sans aucune structure édifiée au-dessus, est inutile. De même, une structure qui ne repose pas sur des fondations solides ne dure pas. Les deux devraient être d’une solidité identique, afin d’apporter refuge et paix aux personnes qui y vivent. Ce monde, où nous vivons tous, est la maison construite avec amour et sacrifice par les grands Maîtres. Que ce monde reste à jamais une demeure de paix et d’amour.
« Comme un oiseau a besoin de deux ailes pour voler, un être humain a besoin des deux ailes de l’existence, l’aile spirituelle et l’aile matérielle, pour mener une vie naturelle et harmonieuse. Si l’une d’elles est négligée en faveur de l’autre, une telle vie n’est pas naturelle et le résultat ne peut être celui que nous désirons. La spiritualité fournit le moyen de rétablir cet équilibre en nous-mêmes. »
Parthasarathi Rajagopalachari
Glossaire
Bibliographie
– Amanaska Yoga, édité par Dr. B.M. Awasthi avec une traduction anglaise de Bajaranga Singh, Swami Keshawananda Yoga Sansthan Prakashan, Delhi, 1987.
– Brihadaranyaka Upanishad, Advaita Ashrama, Almora, Inde, 1950.
– Bhagavad Gita, Gita Press, Gorakhpur, 1949.
– Hatha Yoga Pradipika de Svatmarama, The Adyar Library Research Centre, Chennai, 1975.
– Katha Upanishad, R.K. Math, Chennai, 1952.
– Mundaka Upanishad, R.K. Math, Chennai, 1957.
– Raja Yoga de Swami Sivananda, Divine Life Society, Rishikesh, 1950.
– Svetasvatara Upanishad, R.K. Math, Chennai, 1979.
– Yoga Vasishtha, N.S. Press, Bombay, 1933.
– Sutasamhita, Bala Manorama Press, Chennai, 1932.
– Œuvres Complètes de Ram Chandra (Vol. I) de Shri Ram Chandra, Shri Ram Chandra Mission, 1989.
– Œuvres Complètes de Ram Chandra (Vol. II) de Shri Ram Chandra, Shri Ram Chandra Mission, 1991.
Références :
- Mantra : hymne védique censé renfermer un pouvoir. Vibration sonore spirituelle qui libère l’être en purifiant son esprit de ses tendances.
- Nyaya, Vaiseshika, Sannkhya, Yoga, Purva Mimamsa et Védanta (appelé aussi Uttara ou plus tard Mimamsa) sont les six écoles traditionnelles de la philosophie indienne.
- Yoga Sutra (I. 24)
- III. 2
- Amanaska Yoga, II. 4-5.
- Hatha Yoga Pradipika, II. 16
- I. 128. Ce texte, qui est certainement antérieur au XIIème siècle, comprend plus de 28 000 versets en sanskrit.
- On l’appelle en principe Saktipata. Dans les premiers et derniers textes tamouls sur le Shivaïsme, il est appelé Saktinipatam.